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prêtres pour le succès de tel ou tel projet, pour obtenir une guérison, etc. Une Japonaise jeune ou vieille a toujours sur elle un petit sachet où est enfermée une amulette, figure ou non d’un dieu quelconque, rapportée d’un pèlerinage célèbre et qui doit lui donner la beauté et mille autres biens mondains. Le peuple croit aux spectres, aux mauvais esprits qui sont condamnés pour quelque crime à errer entre ciel et terre et prennent plaisir à tourmenter les mortels : les uns sont des monstres, les autres se présentent sous une forme humaine; tous semblent les personnifications de vagues cauchemars. Ogni Mousmé est une voleuse d’enfans; Ouboumé au contraire en conduit un et demande comme complaisance aux voyageurs de le prendre dans leurs bras : au bout d’un instant, elle disparaît, mais l’enfant devient de plus en plus lourd, jusqu’à ce que la victime de cette persécution laisse glisser de ses bras un énorme caillou, qu’aucune force humaine ne peut plus soulever. Qui dira tous les préjugés qui, ici comme ailleurs, hantent l’imagination populaire? Si on laisse un miroir dans un kura (sorte de magasin à l’épreuve du feu en cas d’incendie), l’intérieur s’allume parce que la flamme, ayant vu son image, veut la rejoindre; vieux souvenir étrangement transformé de la légende shintoïste d’Amatéras dans sa caverne.

Les deux héros du monde des esprits sont le renard (kitsuné) et le blaireau (tanuki); il n’est point de mauvais tour qu’ils ne jouent, souvent même les poussant jusqu’au tragique, attirant les voyageurs à leur suite dans des précipices, ou éveillant des dormeurs qui sautent à la hâte sur leurs armes et pourfendent leur meilleur ami accouru à leur secours. Leur ruse consiste le plus souvent à prendre la forme humaine. Le chat partage avec eux cette mauvaise réputation. Un prince de Hizen avait chez lui une jeune et belle suivante dont il était fort épris; celle-ci, en rentrant chez elle un soir, s’entend appeler et, sans défiance, ouvre la porte à un énorme chat qui l’étrangle et prend sa place et sa forme. Nul ne se doute de la substitution, mais le prince est chaque nuit hanté par d’horribles visions, la fièvre le prend, sa santé décline. Vainement on place une garde de 100 hommes dans sa chambre; à minuit, un sommeil de plomb accable tous les gardiens, et le démon revient tourmenter le prince, jusqu’à ce qu’un jeune soldat ayant eu le courage, pour se tenir éveillé, de s’enfoncer un poignard dans la cuisse, signale l’arrivée de la suivante et déjoue ses tentatives; elle reprend sa forme, et on finit par saisir et tuer le monstre. Ce ne sont là que des contes de fée auxquels, il faut le dire, personne ne croit plus bien fermement, sauf les enfans, dont l’esprit est nourri de ces rêveries. On les répète pourtant; bien des gens sont de l’avis de Sganarelle, qui pardonnerait volontiers à Don Juan son impiété, si du moins il croyait au loup-garou, et de toutes ces