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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/352

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résolu, mêlant les affaires d’agriculture, les plaisirs du monde et les voyages, portant dans une carrière agrandie une sève d’activité inépuisable, avec cette fixité précoce d’idées libérales et patriotiques qui lui faisait dire que « dans ses rêves de jeunesse il se voyait déjà ministre du royaume d’Italie, » — qui lui faisait aussi écrire à sa tante, Mme de Sellon, après la « démarche décisive, » la démission : « Ne croyez pas que tout ce que ce j’ai souffert, au moral s’entend, ait en rien abattu mon amour pour les idées que j’avais. Ces idées font partie de mon existence ; je les professerai, je les soutiendrai tant que j’aurai un souffle de vie. » C’était déjà tout l’homme dans l’officier démissionnaire de 1832, dans le jeune réfractaire du commencement de ce règne, — le règne de Charles-Albert, — qui devait finir par une explosion nationale, mais qui, pour le moment, restait sous la garde des jésuites et de l’Autriche.

Trois choses ont servi à développer, à dégager en quelque sorte cette heureuse nature en lui imprimant son originalité. Évidemment Cavour s’est toujours ressenti de la vie de famille qui avait été sa première éducation. Il en avait reçu, non des opinions qu’il n’a tenues que de son temps et de son instinct, mais ce qui fait l’homme et le caractère. Il s’était formé moralement dans un milieu où des habitudes d’affection et de société tempéraient les dissidences de politique et même de religion, — car si à Turin ce monde des Cavour, des d’Auzers, des Clermont-Tonnerre était profondément attaché aux traditions d’absolutisme religieux et monarchique, à Genève le comte de SelIon, protestant et libéral, gardait une foi ardente à ce qu’il y avait de plus élevé, dans les idées du XVIIIe siècle, de la révolution française. Partagé entre ces influences de famille, Camille de Cavour les réconciliait dans sa libre nature. Avec son oncle, M. de Sellon, il se laissait aller à la fascination des idées nouvelles. Avec M. d’Auzers, absolutiste de conviction, mais homme de savoir, de bonne compagnie, qui se plaisait à la discussion même avec les jeunes gens, il aiguisait son intelligence. A l’école de la grâce maternelle, auprès de Mme d’Auzers qui avait l’esprit alerte, vivant et animé de son neveu, chez Mme de Clermont-Tonnerre, femme d’un royalisme extrême, mais d’une indulgence aimable, dans tout ce monde il avait puisé l’aménité, le goût de la tolérance, une dignité facile et même la fierté perçant parfois à travers l’enjoûment. Qu’on ne s’y trompe pas : avec les opinions les plus libres sur le prestige et les droits de la naissance, avec toutes ses audaces, Cavour n’a jamais été un aristocrate défroqué, reniant certaines traditions de race, l’esprit et les usages de famille. Au plus haut degré de sa fortune politique il est toujours resté le même. Dans cette « maison Cavour » qu’il n’a cessé d’habiter lorsqu’il était