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même, s’harmonisent avec la nature sauvage ; il semble que le vieil écho des montagnes est fait pour répéter ces accens et les rend plus doux ; on n’en souhaiterait pas d’autres. Mais quand une heure plus tard, dans un salon éclairé de deux lampes au pétrole, le voyageur entend épeler d’une voix nasillarde des romances dont on était las à Paris il y a dix ans, et qu’il lui faut subir une pluie de notes de tête et de roulades qui semblent échappées au gosier d’un perroquet dévergondé, alors il est impossible qu’il ne se bouche pas les deux oreilles et qu’il n’applique à sa triste situation ce mot d’un antimélomane : « la musique est le plus désagréable des bruits. »

Ce n’est pas non plus dans les monastères qu’il faut aller chercher la tranquillité de l’âme et le repos de l’oreille. Le chant y est en grand honneur ; c’est une pieuse distraction dont chacun use d’une façon immodérée. Les moines élèvent auprès d’eux, à leur service, une pépinière d’enfans et de jeunes gens, auxquels ils apprennent en même temps l’harmonie : on leur fait un cours de chants religieux et de solfège , et quand l’heure de la leçon est sonnée, on croirait volontiers qu’une nuée de piverts ou de corbeaux vient de s’abattre sur le couvent pour donner un concert. C’est pourtant ainsi que se sont perpétués les rites de l’église et que se forment les diacres chevelus qu’on entend chanter à la messe dans les villes. Pendant longtemps les monastères sont restés seuls initiés au secret de conserver la musique en l’écrivant ; ils ont inventé des caractères spéciaux, avec lesquels il serait impossible de rendre aucun effet d’harmonie, mais qui suffisent bien à exprimer leurs récitatifs.

Une coutume, un culte plutôt, est resté vivant en Grèce, dans toute la province, et offre un grand attrait aux voyageurs. Je veux parler de la danse. Si le temps et le contact de l’Europe l’ont fait oublier dans les grandes villes, les paysans y sont restés fidèles, et pas un jour de fête, pas un mariage ne se passe sans ce divertissement. Tous les Grecs savent danser, et leur taille élégante et souple s’y prête à merveille. Quelques habitans des villages et même des villes sont renommés pour la légèreté de leurs pas et pour leur habileté à conduire les chœurs. C’est un exercice qui ne paraît pas compliqué, mais qui ne laisserait pas d’embarrasser pourtant beaucoup un étranger. Des jeunes gens se réunissent au nombre de trente ou quarante, le plus souvent en plein air ; ils se prennent tous par la main et forment une ligne marchant ou sautant en mesure. Il est difficile de s’imaginer quelque chose de plus gracieux ou de plus beau, quand les costumes sont riches, que cette longue chaîne humaine aux couleurs éclatantes et variées.