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sans esprit politique. À ce tableau un peu chargé, il convient d’opposer le jugement plus froid du traducteur : l’Europe était peut-être intéressée à l’abaissement de la Grande-Bretagne, mais elle avait tort de crier à la tyrannie quand celle-ci prétendait appliquer à ses colonies les règles du droit public en usage chez toutes les nations et qu’aucune d’elles ne songeait à réformer pour son compte. Le joug de la métropole avait pu sembler lourd aux fiers habitans de la Nouvelle-Angleterre, mais il était léger en comparaison des charges que la France ou l’Espagne imposaient à leurs propres colonies. Enfin, si les moyens employés par les généraux anglais en Amérique se ressentent de l’animosité d’une guerre civile, la plus parfaite courtoisie continuait à régler les rapports des belligérans dans les autres parties du monde, et notamment dans les Indes-Orientales.

Quoi qu’il en soit des fautes de l’Angleterre et de son obstination malencontreuse dans une guerre sans issue, M. Bancroft, pénétrant chez elle en 1778, se pose une question toute nouvelle : à qui incombe la responsabilité des événemens? Ne trouvai-je pas des frères dans nos ennemis? Ne peut-on rejeter sur une partie de la nation l’aveuglement, la colère, l’esprit de vengeance, toutes les furies déchaînées, et rencontrer dans l’autre des sympathies toujours vivaces, des sentimens de mansuétude et de paix? La vérité est qu’à cette époque la masse de la nation, fatiguée de la guerre et ne prévoyant qu’une longue suite de maux, commençait à revenir sur l’enthousiasme qu’elle avait d’abord marqué pour la conservation de l’empire, et s’avisait enfin que les Américains, comme ils réussissaient, pouvaient bien avoir raison. Dès lors on découvrait que l’on avait toujours formé des vœux secrets pour eux, que l’entêtement des ministres avait tout brouillé et prolongé ce triste malentendu. Cette découverte soulage évidemment M. Bancroft : jusque-là, il témoignait à l’Angleterre cette colère mêlée de regret qu’on éprouve pour les parens désagréables et qui est le fond des rapports entre John Bull et Jonathan. Une simple analyse politique lui permet de tout concilier, non sans profondeur : trois partis se disputent le gouvernement de l’Angleterre; celui du roi, représenté par les tories; celui du parlement, dominé par l’aristocratie des whigs, et un troisième, vaguement défini, le parti de l’avenir, celui du peuple : l’opinion publique. Le gouvernement des whigs a corrompu le régime parlementaire et faussé l’institution en la rendant moins libre au dedans, plus tyrannique au dehors. Il a soutenu contre les colonies la toute-puissance du parlement. Les fautes de celui-ci ayant rendu pendant quelques années le roi tout-puissant, il y eut un essai de gouvernement personnel qui échoua par l’incapacité des ministres, les scrupules du roi, la force de la constitution et les désastres