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l’exécution, ont porté les coups décisifs, il est général en chef de l’armée des États-Unis. Pour utiliser les loisirs que lui laisse cette haute position, il est venu, il y a deux ans, parcourir les principaux champs de bataille de l’Europe. Il a visité Paris et Versailles, et les curieux ont pu le voir un jour assister à une séance de l’assemblée nationale, dans la tribune du président de la république. Ils n’auront rien trouvé de militaire dans sa personne. Le général est grand, maigre et paraît avoir cinquante ans. Son visage est soigneusement rasé. Point de moustaches. Ses cheveux blonds ne sont pas taillés à l’ordonnance. Rien dans sa tournure n’indique la gêne habituelle de l’uniforme ou la raideur de l’homme toujours en représentation ; mais la maigreur du corps a tous les caractères d’une de ces constitutions supérieures aux fatigues et aux privations, que les Américains appellent constitution de fil de fer (wiry). L’œil est à la fois doux et perçant, et l’ensemble de la physionomie montre une vive intelligence, une énergique volonté, mêlées à une pointe de malice. A son retour d’Europe, le général a rédigé les mémoires qui font le sujet de cette étude. Ecrits avec vivacité, s’exprimant avec franchise sur nombre de personnages vivans, ces mémoires ont soulevé de l’autre côté de l’océan d’ardentes controverses dont nous ne nous occuperons pas ; mais nous rechercherons avec soin les traits de caractère qui font du général Sherman une de ces raretés qu’on appelle un homme.


I

En 1846, nous trouvons Sherman, récemment sorti de l’École militaire, lieutenant d’artillerie et commandant un dépôt de recrutement. Son premier pas dans la vie est un coup de tête. La guerre venait d’éclater entre les États-Unis et le Mexique ; au bruit des premiers combats, l’imagination du jeune officier s’enflamme, il ne doute pas qu’on n’ait immédiatement besoin de ses services. Sans attendre d’ordre, il rassemble ses recrues, se met à leur tête, et s’embarque avec elles pour le lieu du rassemblement. La première déception. Au lieu d’apprécier son zèle, son colonel, un vieil officier manchot, l’accable d’injures et de malédictions pour avoir quitté son poste sans ordres, et le renvoie ignominieusement ; mais un autre champ va s’ouvrir à son ardeur et à son activité. Sa compagnie reçoit l’ordre de se rendre en Californie, dont le gouvernement des États-Unis venait d’ordonner l’annexion. Lorsque Sherman et ses soldats y arrivent après avoir doublé le Cap-Horn, les officiers des navires de guerre américains venaient d’y planter le drapeau étoile ; tout était à créer en fait d’organisation. La Californie était encore presqu’à l’état sauvage. Quelques Mexicains