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peu de cérémonie la lettre du grand duc, « Je n’ai pas, comme tant d’autres gens, de la vénération pour un général victorieux... N’est-ce pas un spectacle lamentable qu’une main incapable de tenir plus longtemps l’épée écrive une lettre qui soulèvera de mauvaises passions entre deux grandes nations voisines?.. Quand j’ai lu cette lettre, en arrivant à la conclusion, je me suis dit : il a soixante-dix-sept ans; cela explique et excuse tout. »

Cependant le ministère, qui avouait n’avoir pas plus d’armes que de poudre et, pis encore, n’avoir pas de soldats, ne pouvait s’abstenir, quoique la situation économique fût loin d’être favorable : les recettes du trésor faiblissaient, le budget se soldait par un déficit. Malgré tout, lord John Russell présenta le 18 février 1848 à la chambre des communes un bill sur l’augmentation de l’armée et l’organisation de la milice; la dépense devait être couverte par l’impôt sur le revenu, élevé pour la circonstance de 7 pence à 1 shilling par livre sterling. Survint tout à coup la révolution qui changeait le gouvernement de la France. Ce fut un prétexte pour retirer des propositions que la chambre avait accueillies froidement. Bien plus, sur le rapport d’une commission nommée à l’instigation des économistes de Manchester, le budget militaire de 1847-48 fut réduit, et enfin le discours du trône prononcé à l’ouverture de la session de 1849 annonçait que l’état des affaires avait permis d’opérer des réductions importantes sur les évaluations de l’année précédente. L’exposition universelle de 1851 fut aux yeux de beaucoup de gens l’indice d’une réconciliation sincère entre les nations; lorsqu’on vit le duc de Wellington et M. Cobden échanger une poignée de main dans la grande nef de Hyde-Park, on se dit que ce dernier était décidément dans le vrai, puisque le plus illustre représentant de l’armée anglaise ne lui gardait plus rancune.

Le coup d’état de décembre ne laissa pas toutefois d’exciter quelques inquiétudes en Angleterre. Lord Derby en profita pour faire passer un bill en vertu duquel 80,000 miliciens devaient être enrégimentés; l’armée régulière recevait en outre un accroissement de quelques milliers d’hommes. Cela était bien insuffisant. Armement et équipement, magasins et transports, tout était à refaire. En 1852, lord Hardinge, grand-maître de l’artillerie, organisa des batteries de campagne; par ses soins, il y eut alors 120 bouches à feu attelées. Il en existait à peine les années précédentes. Telle était la détresse où se trouvait l’armée anglaise lorsqu’il fallut envoyer une expédition en Orient. S’étonnera-t-on maintenant qu’elle ait manqué de tout sur le plateau de la Chersonèse? Enfin une panique plus sérieuse peut-être se produisit encore en 1858, Cette fois le gouvernement, informé par des rapports secrets que des armemens extraordinaires s’exécutaient en France, s’alarma plus que le public.