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compétitions fâcheuses inspirées par le désir d’avancer vite. La milice, avec son organisation rudimentaire, répondait aussi aux besoins d’un pays où le gentilhomme campagnard aime à paraître, par les insignes d’un grade militaire, le supérieur des paysans qui l’entourent. A la condition d’être riche et bien élevé, bon chasseur et hardi cavalier, un jeune propriétaire rural avait toutes les qualités requises pour faire un officier de milice. Il aimait à se figurer qu’en cas d’invasion, — un cas qui ne se présentait jamais, — il risquerait volontiers sa vie pour défendre sa patrie. En attendant, cela ne gênait ni ses occupations, ni ses plaisirs, et lui procurait quelque honneur.

Le bill présenté au parlement par M. Cardwell au printemps de 1871 avait pour but de répudier toutes ces traditions archaïques. Les dispositions principales en étaient de racheter les grades contre indemnité à payer aux titulaires actuels, de transférer à la couronne le droit de nommer les officiers de milice afin que ceux-ci eussent les mêmes droits et fussent astreints aux mêmes devoirs que les officiers de l’armée active, de soumettre les miliciens et les volontaires au code militaire lorsqu’ils seraient réunis pour leur instruction ou pour exécuter des manœuvres, d’autoriser le ministre de la guerre à congédier les engagés avant l’expiration de leur douzième année de service à la condition de rejoindre leur corps au premier appel. Par ce dernier moyen, on espérait constituer une réserve nombreuse de bons soldats qui permettrait de maintenir au complet l’effectif des régimens en campagne. L’enrôlement volontaire restait d’ailleurs le mode usuel de recrutement pour la milice aussi bien que pour l’armée active, sauf que le ministère avait le droit de recourir au tirage au sort pour la milice en cas d’extrême péril.

On n’a pas oublié les incidens qui se produisirent pendant la discussion de ce bill. La chambre des communes avait approuvé le rachat des grades; la chambre des lords, plus attachée à la routine, le repoussa. Alors M. Gladstone, par une manœuvre hardie, retira l’article de loi contesté, fit voter par les communes une somme suffisante pour indemniser les officiers dépossédés, puis il fit prononcer le rachat par un acte de la prérogative royale. Les autres articles ne soulevèrent guère de difficultés. Il restait à mettre en œuvre ces dispositions nouvelles. Si quelques personnes avaient trouvé la réforme téméraire, d’autres au contraire lui reprochaient d’être trop timide. Ainsi l’on remarquait avec raison que la création d’une réserve exigerait un recrutement plus que double; au lieu de conserver les soldats douze ans sous les drapeaux, vingt-trois ans même lorsqu’ils contractaient un réengagement, on ne les garderait plus que six années environ. Au lieu d’enrégimenter 20,000 hommes chaque année, il en faudrait 40,000 au moins, à supposer que l’effectif