jeune âge, après douze ou vingt ans de service ils ne s’en souviennent plus. Rien n’empêche de leur réserver, comme on le fait en France, une part des emplois dont le gouvernement dispose. Le soldat ayant l’autorisation de se marier, les casernes sont encombrées de femmes et d’enfans au détriment de la discipline; cela n’a plus raison d’être avec des engagemens de courte durée. Encore quelques modifications de ce genre, l’armée anglaise ne se distinguera plus des armées continentales. Quant au reste, armement, équipement, mobilisation, ce n’est qu’affaire d’argent. Les Anglais ne seront jamais en peine d’y satisfaire dès qu’ils en auront appris la nécessité. Leur budget et leur industrie sont inépuisables.
Lorsque les régimens des gardes sortirent de Londres au printemps de 1854 pour se rendre en Orient, la population leur fit une ovation que méritait leur fière mine, que mérita plus encore leur attitude sur les champs de bataille de l’Aima et d’Inkermann quelques mois plus tard. Lorsque Wellington fit campagne de Lisbonne aux Pyrénées, il avait déjà des régimens pareils, recrutés n’importe comment d’hommes illettrés, un peu débauchés peut-être, mais qu’une discipline de fer et une longue pratique des armes avaient transformés en vaillans soldats. C’est plaisir sans doute de commander à de telles troupes. Aussi Wellington et ses élèves, les chefs du contingent britannique devant Sébastopol, professaient-ils un dédain absolu pour les soldats improvisés des grandes armées modernes; mais de ces troupes d’élite, on sait ce qu’il en restait au printemps de 1855. L’hiver de Crimée, le feu de l’ennemi, les maladies n’en avaient guère épargné, et l’Angleterre était hors d’état de remplacer ceux qui manquaient dans les rangs. Je ne sais quel petit prince allemand, au siècle dernier, s’était occupé de son armée avec la plus vive sollicitude; il avait les plus beaux régimens que l’on pût imaginer. Un jour, on le sollicita d’entrer en guerre par ce motif, à défaut de meilleur, que de pareilles troupes méritaient qu’on leur offrît l’occasion de se distinguer. « Oh! non, répondit-il; la guerre me gâterait mes régimens que j’ai pris tant de peine à former. » C’est bien vrai, les corps d’élite sont faits pour la parade, et c’est pour cela qu’il n’en faut plus. Les Anglais s’en sont convaincus un peu tard, encore à temps néanmoins. Ils ont entrepris avec fermeté la réorganisation de leurs forces. Ce qu’il leur reste à faire pour avoir une bonne armée est peu de chose en comparaison de ce qu’ils ont fait déjà. Souhaitons qu’ils achèvent vite les réformes qu’ils ont bien commencées. De tous les peuples européens, en dépit de vieux préjugés qui s’éteignent chaque jour sur l’une et l’autre rive de la Manche, c’est nous qui devons suivre avec le plus d’intérêt et le moins de jalousie leurs progrès militaires.
H. BLERZY.