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C’est dans l’Organisateur que nous trouvons le plan de constitution par lequel Saint-Simon compte organiser le pouvoir de la classe industrielle. Ce plan, d’un caractère tout à fait utopique, rappelle les rêves de l’abbé de Saint-Pierre. Comme c’était alors la mode du gouvernement parlementaire, Saint-Simon constitué, lui aussi, un gouvernement parlementaire. Bien plus, au lieu de deux chambres il en établit trois : une chambre d’invention, une chambre d’examen, une chambre d’exécution. Le but social étant, comme nous l’avons dit, la production, c’est-à-dire l’exploitation du globe pour la plus grande utilité des hommes, la chambre d’invention aura pour objet de découvrir et d’inventer des projets utiles, des plans de travaux publics sur une vaste échelle (canaux, voies de communication de toute nature, assainissemens, exploitations de mines, reboisemens, etc.). Tel sera dorénavant l’objet principal de la politique, le reste n’est qu’accessoire ; mais, comme l’utilité n’est pas tout pour l’homme et qu’il faut aussi faire la part du plaisir et de l’imagination, la chambre d’invention n’aura pas seulement à s’occuper des travaux publics : elle sera chargée en outre des fêtes publiques, elle en aura l’initiative et devra présenter également des projets à cette fin. Il devait t avoir deux sortes de fêtes, les fêtes d’espérance et les fêtes de souvenir. Cette singulière préoccupation des fêtes publiques est un des traits caractéristiques de l’utopiste, et l’on sait quel rôle important leur avait attribué pendant la révolution le parti républicain. Quant à la composition de cette chambre, Saint-Simon donnait dans le dernier détail le nombre et la qualité de ceux qui devaient en faire partie. C’est un des traits curieux de l’utopiste d’accuser avec une extrême précision les circonstances les plus insignifiantes, afin de donner par là l’illusion d’un plan pratique tout prêt à être exécuté[1].

La seconde chambre s’appelait chambre d’examen. Elle avait pour objet, comme son nom l’indique, d’examiner les projets de la première et devait être chargée en outre d’un plan d’éducation publique, et, ce plan une fois accepté, elle en surveillait l’exécution. Elle devait s’occuper aussi d’un projet de fêtes publiques ; on ne nous dit pas en quoi il différera de celui de la chambre d’invention,

  1. La chambre d’invention se composerait de trois sections : la première formée de 200 ingénieurs, et dont le noyau seraient les 86 ingénieurs en chef des départemens ; — la seconde, de 50 littérateurs, dont seront de droit les 40 de l’Académie française ; — la troisième de 25 peintres, de 15 sculpteurs et de 10 musiciens, choisis en partie parmi les membres de l’Institut. Le reste se compléterait ensuite par voie d’élection. Enfin Saint-Simon, qui, comme son école, n’a jamais négligé le côté solide des choses, décide que les membres de cette chambre auront 10,000 francs de traitement. On remarquera qu’ici encore l’utopiste est tombé juste, puisque nous avons vu s’établir le principe d’une indemnité pour les législateurs, et que le montant de cette indemnité est à peu de chose près celui qu’avait fixé Saint-Simon.