Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/790

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerres et les abstractions théologiques sont les causes les plus actives de haines parmi les hommes.

Enfin dans une « adresse aux philanthropes[1], » en rappelant que le but était de faire passer le christianisme de la spéculation à la pratique, il se demandait quelle était la force morale qui pouvait opérer ce changement. « Cette force, disait-il, c’est le sentiment moral, » dirigé par « les philanthropes » qui seront à la nouvelle doctrine ce qu’ont été les fondateurs du christianisme. Et quel sera le moyen employé par les philanthropes ? « La prédication, tant verbale qu’écrite. » Ils « prêcheront » les rois, les industriels et les peuples. Ils chercheront non pas à renverser les trônes, mais au contraire à rendre partout le pouvoir royal favorable aux nouvelles doctrines et à la complète organisation du « nouveau christianisme. » Enfin quel sera le but final de cette réforme ? Le voici : « organiser la société de la manière la plus avantageuse pour le plus grand nombre. »

On voit que le Nouveau Christianisme se trouvait déjà en germe dans les écrits de Saint-Simon, et l’éditeur a raison de dire que cet ouvrage n’est pas, comme où l’a écrit, le fait d’un affaiblissement intellectuel qui aurait suivi la tentative de suicide de 1822[2], puisqu’avant cette époque on en retrouve le fond et les idées principales dans de nombreux passages. Seulement ces idées se sont condensées et ont pris une forme plus accentuée et plus définie. Ce livre a été fort admiré par les saint-simoniens, et, avec l’Éducation du genre humain de Lessing, il a été en quelque sorte l’évangile de la nouvelle église. Saint-Simon lui-même, en mourant, le signalait à Olinde Rodrigues comme son œuvre capitale. Nous n’éprouvons pas aujourd’hui la même admiration ; car, quoique ce fût la prétention de Saint-Simon d’avoir substitué dans cet écrit la doctrine à la critique, ce qui y manque surtout c’est la doctrine, et il ne contient guère autre chose que de la critique. Critique du catholicisme, critique du protestantisme, voilà ce qui remplit la plus grande partie de l’ouvrage. On nous dit bien qu’il faut un nouveau dogme à une société nouvelle ; mais quel est ce dogme, c’est ce que nous n’apprenons pas. Sous forme religieuse, ce n’est encore qu’une morale résumée dans cette maxime célèbre : « Tous doivent travailler au développement physique, moral et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » On est donc porté à croire que, dans son Nouveau Christianisme, Saint-Simon n’avait rien de plus dans l’esprit que le système déjà tant de fois

  1. Œuvres, t. XXII, p. 85.
  2. Voir sur cette singulière tentative de suicide la Notice historique de l’éditeur (Œuvres, tome I, p. 104).