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à côté des Français et des Anglais… Nous avons eu 200 morts. Les dépêches françaises diront le reste. » Le Piémont se sentait aussitôt soulagé du poids de toutes les craintes, il saluait la bonne nouvelle d’un élan d’orgueil patriotique. Cavour, quant à lui, était aussi heureux du succès de La Marmora que de ses propres succès. La brillante conduite de l’armée et de son chef ne justifiait pas seulement le traité, elle donnait raison au président du conseil contre tous ceux qui l’avaient accusé d’avoir négligé de fixer diplomatiquement la position du général piémontais au milieu des forces alliées. Cavour n’avait rien négligé, il avait montré tout simplement une confiance que lui imposait une situation délicate et qui cachait en réalité un grand bon sens. Il s’était dit que, si l’armée, comme on l’espérait bien, restait digne d’elle-même et du pays, son général aurait naturellement la position qu’il aurait su se faire, que personne ne songerait à lui refuser, et que, dans un cas contraire, toutes les stipulations diplomatiques ne serviraient à rien. Il avait compté sur l’armée et sur La Marmora, il avait la joie de se voir justifié. L’armée faisait la meilleure figure dans le grand conflit, et La Marmora, par ses qualités militaires, par son esprit de commandement, n’avait eu aucune peine à prendre sa position parmi les généraux alliés de Crimée, comme il avait un peu plus tard sa place dans un grand conseil de guerre réuni à Paris. Le résultat militaire qui entrait dans les calculs de l’intervention piémontaise, se trouvait acquis par le courage des combattans de la Tchernaïa et par l’attitude de leur chef, de celui en qui lord Clarendon voyait la tenue « d’un soldat, d’un gentilhomme et d’un homme d’état. »

La seconde satisfaction pour la politique de Cavour était le voyage que le roi Victor-Emmanuel faisait à Paris et à Londres aux derniers mois de 1855, et qui montrait déjà ce que le Piémont avait gagné en peu de temps. Le Piémont, au lieu de rester un obscur et modeste état perdu au pied des Alpes, montait sur la scène européenne ; il faisait parler de lui. Victor-Emmanuel était reçu partout en souverain d’un petit royaume qui avait su prendre une grande résolution. Paris lui créait une sorte de popularité ; à Londres, on fêtait en lui non-seulement l’allié de Crimée, mais encore le souverain constitutionnel, le prince loyal, qui savait faire du Piémont « une petite Angleterre en Italie. » Victor-Emmanuel était accompagné dans son voyage par d’Azeglio, à qui Cavour avait réservé une mission particulière. « Sa présence, disait-il gaîment, est nécessaire pour prouver à l’Europe que nous ne sommes pas infectés de la lèpre révolutionnaire. » Et d’Azeglio se prêtait à son rôle avec la bonne volonté et la délicatesse d’un patriotisme qui ne savait pas se refuser. Cavour lui-même naturellement était aussi du voyage, des fêtes, des ovations. Il se retrouvait à Paris, qu’il