ses oreilles, au risque de laisser voir trop clairement que le sujet était de son goût, et l’on est presque tenté de reprocher au poète d’avoir pris pour son drame un sujet de comédie.
Ce qui sauve la dignité de l’œuvre et ce qui la relève, c’est la façon grave dont elle est présentée, c’est le milieu sinistre où elle se déploie et sur lequel pèse l’ombre de ce temps terrible où ce qui la veille était devoir le lendemain devenait crime, où le suprême service qu’on pût rendre à un ami était de lui apporter un sac de poudre pour lui épargner au moins la torture des flammes ; siècle plein de contradictions où l’on voyait des grands seigneurs comme Northumberland devenir lâches tout à coup et saluer, chapeau bas, la foule qui leur jetait des cris de mort, tandis que des prêtres comme Cranmer retrouvaient au dernier moment l’héroïsme et l’éloquence des martyrs. Les hommes à d’autres époques ont été sans doute et plus grands et meilleurs ; mais on a eu raison de dire qu’ils n’ont jamais été plus intéressans et plus poétiques. M. Tennyson ne les a pas diminués dans l’étude dramatique qu’il vient d’offrir à son pays. Quoiqu’il y ait une singulière distance entre les brouillards des romantiques légendes au milieu desquelles il avait aimé jusqu’à présent à vivre et les réalités du XVIe siècle, il ne s’est pas senti dépaysé dans ce monde nouveau pour lui, bien que plus voisin du nôtre par les passions et par les sentimens. Lui qui naguère encore s’en allait sur les pas du vieux trouvère français à la recherche du Saint-Graal et de la lance enchantée, il a d’un bond franchi le moyen âge pour se mêler aux grandes crises de la moderne Angleterre. Spectateur ému, il a promené son calme regard sur les oppresseurs et sur les opprimés, et il a tâché de grouper dans un ensemble harmonieux quelques-uns des hommes qui par leur exemple ou par leur résistance, par leurs crimes ou par leurs vertus, ont favorisé l’établissement de la liberté religieuse dans la patrie de Wiclef et de Wesley. Autour de Marie Tudor, il a réuni Philippe, le froid Espagnol, et la brillante Elisabeth, jeune encore et déjà profondément politique ; Thomas Wyatt, le patriote et le rebelle, Bonner, le brutal inquisiteur, le chancelier Gardiner, enfin le cardinal Pole, le noble Plantagenet qui vient donner à l’Angleterre l’absolution du pape et le signal des persécutions. Au-dessous, on entend la rumeur indécise de la foule qui se demande ce qu’elle peut avoir à perdre ou à gagner à la restauration de la puissance papale. Il ne s’agit plus seulement des amours malheureuses d’une reine ; le sujet s’est agrandi sous la main du poète. C’est tout un fragment du passé de l’Angleterre qu’il fait revivre devant nos yeux, au moment même où à côté de lui, coïncidence singulière, un premier ministre descendu du pouvoir remplit les revues de ses polémiques religieuses et fait la guerre au Vatican.