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déplaît au parlement, elle y renoncera. Enfin elle demande aux corporations de choisir entre la reine d’Angleterre et la canaille du pays de Kent. A de pareilles questions, on le sait, la réponse n’est jamais douteuse. Néanmoins, après son courage, Marie dut surtout son salut à la fermeté des lords Pembroke et Howard ainsi qu’à une compagnie d’archers qui barra le chemin aux insurgés.

Cette fois le royaume était reconquis ; mais le fiancé espagnol voulait des sûretés contre un peuple si remuant. Il demandait la tête de Jane Grey. Marie la lui donna généreusement et se réserva, ce qui était bien le moins qu’elle pût faire, Elisabeth et Cranmer, pour sacrifier l’un à sa piété et l’autre à sa jalousie. Désormais « ses ennemis sont à ses pieds, et Philippe est roi. »

M. Tennyson, en historien fidèle, a bien marqué les deux phases de ce règne, qui fut clément jusqu’au jour où la passion fit oublier à Marie ses promesses, l’intérêt de l’Angleterre et la pitié. Il a suivi avec beaucoup d’art les détours de cette âme envahie par un amour sauvage, habile à se tromper elle-même, de cette conscience faussée, où tout finit par se brouiller et se confondre sous l’influence d’une passion que rien ne pouvait assouvir. Philippe est enfin débarqué avec une escorte de gentilshommes dont l’histoire est écrite dans les annales de deux mondes. Il était temps, car la reine se consumait de désirs, et son intelligence s’égarait sous le poids des inquiétudes, sous l’aiguillon des retards. Le fiancé, trempé par la pluie dans son manteau d’écarlate, est arrivé devant les murs de Winchester avec toute l’ardeur d’un homme qui entreprend une tâche désagréable. Il aurait bien voulu remettre au lendemain sa première visite, mais le soir même il lui a fallu se montrer à Marie et faire sa cour. C’est au milieu des fêtes du mariage que s’ouvre le troisième acte de la pièce. Pendant que la foule crie sans enthousiasme : « Longue vie à Marie ! » et avec moins d’enthousiasme encore : « Longue vie à Philippe ! » deux membres, des communes se racontent tous bas les derniers événemens, les gibets qui foisonnent, les exécutions sanglantes qui ne cessent pas et les mauvais présages. Ils parlent de celle que Noailles appelait la reine de douze jours, et ce souvenir les émeut :

SIR THOMAS STAFFORD.

Vous pouvez sans doute me dire comment elle est morte.

SIR RALPH BAGENHALL.

Dix-sept ans ! — parlant huit langues, sans égale en musique, parfaite aux travaux de l’aiguille et dépassant en savoir les hommes d’église, et avec cela si douce, si modeste, si soumise comme épouse au vulgaire garçon à qui la politique l’avait si mal mariée ! .. Dix-sept ans,