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survient brusquement lors de la coupe. Le semis de sapin ne se produit pas d’ailleurs sur les terrains nus. Sauf exceptions très rares, on ne pourrait donc pas perpétuer la sapinière par des coupes à tire et aire. Les résultats n’en sont pas beaucoup meilleurs dans les forêts d’épicéa. Cependant on a exploité de la sorte beaucoup de forêts d’épicéa dans les Alpes autrichiennes, quelques-unes même en Suisse. Généralement le repeuplement en est tardif, reste incomplet, et le pâturage vient achever l’œuvre de destruction. Dans les cas les plus heureux, les épicéas, reprenant enfin possession du sol, grâce à quelque abri, à des broussailles de hêtre par exemple, laissent entre eux de nombreuses clairières constituant de véritables prés-bois. Ces coupes devraient donc être suivies de plantations, toujours dispendieuses, peu praticables dans les terrains rocheux et inadmissibles pour le sapin. Autant en effet la plantation de l’épicéa est facile et sûre, autant celle du sapin est difficile et incertaine. Le premier développement du jeune sapin est très lent, et son état longtemps précaire. Il n’émet d’abord qu’une branche d’année en année, en s’élevant très peu. C’est seulement vers l’âge de dix, douze ou quinze ans, quand il a le pied bien ombragé, qu’il commence à former un verticille complet de quatre ou cinq branches, et qu’il s’élance en hauteur. Jusque-là, il est très exposé à se dessécher, à périr lors d’un changement d’état climatérique, et surtout après une transplantation.

Quand le hêtre est mélangé au sapin, les coupes à blanc estoc ont encore un autre résultat : les semis de hêtre qui se trouvaient sous les vieux massifs se développent très rapidement après l’exploitation des grands arbres, couvrent et étouffent les semis de sapin et restent bientôt exclusivement maîtres du terrain. La forêt de hêtre pur se substitue ainsi à la sapinière. Les exemples de ce fait regrettable ne sont que trop nombreux. La forêt de Lente-en-Vercors, une de nos grandes sapinières du midi, occupe, entre l’Isère et la Drôme, à 1,000 mètres d’altitude, le dernier des plateaux jurassiques au sud du Jura proprement dit et du massif de la Grande-Chartreuse. Le Vercors se trouve séparé des collines du Royans et du reste du monde par des escarpemens verticaux de 500 à 600 mètres, naguère encore inaccessibles. Les populations enfermées dans cette région avant l’ouverture de la route des Goulets et de la route forestière de Bouvante exploitaient parfois à blanc pour transformer le bois en charbon. Le hêtre alors prenait la place du sapin, et il l’occupe actuellement sur de grandes étendues. Tout au contraire, le jardinage est moins favorable au hêtre qu’au sapin. Celui-ci s’élève lentement sous le massif des grands arbres, tandis que le hêtre y reste indéfiniment déprimé. Une fois qu’on est prévenu, il est facile de constater ce fait dans mainte forêt des Vosges, et