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n’avais point encore fermé l’œil quand j’entendis avec surprise sonner la diane. Il faisait nuit noire, et il était à peine deux heures du matin. C’était une mesure adoptée depuis peu dans certaines frontières. On tenait les soldats éveillés au moment où d’ordinaire le sommeil est le plus profond, un peu avant l’aube et à l’heure de la sieste. Ce sont les momens choisis de préférence par les Indiens pour leurs surprises. Je notai ce renseignement, qui ne devait pas tarder à m’être utile.

La section côte sud présentait d’ailleurs un aspect tout différent de celui de sa voisine, la section sud. Elle contenait peu d’Indiens auxiliaires, elle en employait seulement une trentaine, restes d’une tribu jadis puissante et qui avait été sacrifiée en d’autres temps au désir de plaire à Catriel. À la suite de démêlés entre les deux tribus, le général Rivas, tranchant autocratiquement la question en faveur de Catriel, avait confisqué les Indiens de son adversaire et lui en avait fait cadeau. Le cacique dépossédé était pourtant un brave et vaillant homme, qui portait avec orgueil le nom de Pichi-Henûca, petit chrétien, et qui n’en continua pas moins à servir la république avec zèle. Nous le retrouverons tout à l’heure. C’était vraiment une heureuse fortune pour la frontière côte sud de ne point posséder sur son territoire d’Indiens « apprivoisés. » D’abord, débarrassé des laborieuses négociations et des mille tripotages dont ces tribus étaient sans cesse l’occasion, le chef de frontière pouvait tout entier se consacrer à sa vraie mission, garder la ligne. En suite, n’ayant pas à compter sur le concours commode, mais suspect, de ces légers cavaliers pour les grandes reconnaissances, la garde des chevaux, le service d’estafettes, il avait bien du y accommoder les élémens dont il disposait. Avec un peu plus de peine, il était arrivé à des résultats bien meilleurs. Depuis les quelques mois que le commandant Maldonado avait entrepris de la réorganiser, la frontière côte sud s’était fait remarquer par la brillante manière dont elle avait déjoué ou châtié les invasions indiennes. Les fortins, bien garnis de monde, étaient mis en communication par des rondes de jour et de nuit. Officiers et soldats, toujours à cheval, ne s’en plaignaient pas, au contraire. Cette activité leur semblait bien préférable à la stagnation écœurante de la vie de garnison dans un fort du désert. Ils acquéraient de la sorte un flair infaillible pour dépister les Indiens. On vient de voir la sécurité de coup d’œil du commandant du fort Necochea. Au même moment, au fort Lavalle, plus directement menacé, la sécurité était profonde sur la foi des Indiens de Catriel. Ceux-ci, chargés d’explorer chaque jour le désert, allaient arrêter les détails de l’invasion avec l’armée de Namuncurà, et revenaient avec le rapport sacramentel : rien de nouveau. »