Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des vaisseaux de ligne à vapeur. Il soutint que la marine française serait plus forte avec des frégates rapides, très mobiles, bien armées, mais bonnes marcheuses et montées par des équipages aussi lestes que valeureux. Cette idée semble rajeunir aujourd’hui. Les gros bâtimens sont considérés par des hommes de mer comme un encombrement plus encore qu’une force. Ce qui se rapportait aux vaisseaux à vapeur, ils l’appliquent aux vaisseaux blindés. Ceux-ci, disent-ils, ont renouvelé l’époque des armures et des chevaliers cuirassés qui un jour, alourdis par leur ferraille, ont été démontés sans pouvoir se relever à Azincourt, par les habiles archers du roi d’Angleterre. À partir de cette journée, les armures sont tombées pièce à pièce, tantôt les gantelets, tantôt les brassards, puis la selle écaillée de fer, pour alléger l’homme et le cheval ; jusqu’au moment où la cavalerie légère a été plus d’une fois lancée contre les canons mêmes, à Somo-Sierra par exemple, ou à Balaclava, sans protection aucune, formidable cependant par son élan et par la rapidité de ses évolutions.

La marine cuirassée n’a pas eu de journée d’Azincourt. Elle n’a d’ailleurs été mise à l’épreuve dans aucune bataille rangée ; mais l’étude a conduit la majorité des marins à penser qu’il fallait au moins l’alléger, si l’on ne se décide pas à la supprimer. On renonce déjà à une partie du blindage, celle qui n’est pas nécessaire pour la protection des œuvres vives : ce sont les pièces superflues de l’armure, les brassards, les cuissards et les gantelets, si l’on veut, en attendant l’heure où les cuirasses tomberont à leur tour. La partie du blindage qui tend à disparaître la première est celle qui a pour objet de protéger l’artillerie et les artilleurs derrière les embrasures. On n’a jamais réussi, sur les vaisseaux, à concilier les conditions d’une protection efficace des pièces et des servans. Il y fallait combiner les qualités nautiques essentielles, la facilité du tir dans toutes les directions, l’épaisseur des plaques et la légèreté relative du bâtiment. Il fallait encore que le navire, malgré le poids de son armement et de sa cuirasse, conservât la stabilité sur son élément. Pour avoir méconnu ce principe ou l’avoir traité avec une hardiesse excessive et mal calculée, un superbe échantillon de la flotte anglaise, construit et cuirassé d’après les plans d’un officier de cette marine, a sombré dernièrement et s’est perdu corps et biens. Aussi les nouveaux types adoptés en Angleterre sont-ils beaucoup moins protégés, mais beaucoup mieux assis sur l’eau. « A quoi bon tant de protection pour qui possède un cœur ferme ? disent les bons esprits que nous citons ; nos pères, ajoutent-ils, allaient au combat sans autre rempart que leurs murailles de bois. » Ce n’est pas une raison d’exposer le bois contre le fer, et il y aura certainement des navires cuirassés dans une flotte tant qu’on en trouvera dans une autre. Toute la