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écrit, aujourd’hui un peu oublié, une page brillante où se révèle déjà le futur historien de la France. « Ainsi, s’écrie-t-il dans un élan d’enthousiasme, s’accomplit en mille ans ce long miracle du moyen âge, cette merveilleuse légende dont la trace s’efface chaque jour de la terre et dont on douterait dans quelques siècles, si elle ne s’était fixée et comme cristallisée pour tous les âges dans les flèches et les aiguilles, et les roses, et les arceaux sans nombre des cathédrales de Cologne et de Strasbourg, dans les cinq mille statues de marbre qui couronnent celle de Milan. En contemplant cette muette armée d’apôtres et de prophètes, de saints et de docteurs échelonnés de la terre au ciel, qui ne reconnaîtra la cité de Dieu élevant jusqu’à lui la pensée de l’homme ? Chacune de ces aiguilles qui voudraient s’élancer est une prière, un vœu impuissant arrêté dans son vol par la tyrannie de la matière. La flèche qui jaillit au ciel d’un si prodigieux élan proteste auprès du Très Haut que la volonté du moins n’a pas manqué ! .. »

L’Introduction à l’Histoire universelle se terminait par l’esquisse d’un vaste plan où Michelet semblait se proposer, avant d’entreprendre l’histoire de son pays, de raconter celle de la puissance romaine, qui lui paraissait « le nœud du drame immense dont la France dirige les péripéties. » De ce plan grandiose, nous n’avons eu que les débris : deux volumes sur l’Histoire de la république romaine, qui, commencés en 1828, ne parurent qu’en 1831. Michelet avait amassé durant un séjour de quelques mois en Italie les matériaux indispensables à cette œuvre de longue haleine. L’histoire en effet, telle qu’il la comprenait, avec la poésie et la réalité qu’il entendait y mettre, ne se séparait pas pour lui de l’aspect et de la description des lieux qui en ont été le théâtre. Qui oserait d’ailleurs raconter l’histoire de Rome, qui serait même en état d’en comprendre la grandeur, la grâce et la tristesse, s’il n’a foulé aux pieds la poussière qui recouvre ses ruines, s’il n’a égaré ses rêveries dans le petit champ de vigne où l’on découvre avec peine l’entrée du tombeau des Scipions, et s’il n’a vu les amandiers fleurir sur les décombres du palais des césars ? Ces aspects d’une éternelle majesté ont été décrits par Michelet avec la vérité d’un peintre et l’imagination d’un poète, dans les quelques pages qui ouvrent le premier volume : « Quoique Rome soit toujours une grande ville, le désert commence dans son enceinte même. Les renards qui se cachent dans les ruines du Palatin vont boire la nuit au Velabre. Les troupeaux de chèvres, les grands bœufs, les chevaux à demi sauvages que vous y rencontrez, au milieu même du bruit et du luxe d’une capitale moderne, vous rappellent la solitude qui environne la ville. Si vous passez les portes, si vous vous acheminez vers un des sommets bleuâtres qui couronnent ce paysage