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popularité même passagère. Il faut avoir la tête forte pour ne pas se laisser enivrer par les applaudissemens de la foule, et celui qui a, ne fût-ce qu’un instant, trempé ses lèvres dans ce vin grossier, celui qui s’est abandonné, ne fût-ce qu’un jour, à cette ivresse, celui-là en conserve parfois une sorte de vertige qui rend désormais ses pas toujours chancelans. Sans doute cette recherche du succès populaire ne date pas pour Michelet de son cours de 1843, et il serait facile de relever dans chacun des volumes publiés par lui les progrès de cette préoccupation croissante ; mais on peut dire qu’à partir de cette époque le souci de la popularité démocratique l’envahit tout entier et devient la source permanente de son inspiration. À ce nouvel emploi de ses facultés, Michelet n’a pas perdu seulement cette sérénité du caractère et de l’esprit, qui relève singulièrement le rôle de l’historien ; il a, par un lent retour de justice, compromis et diminué peu à peu son talent. Il se connaissait bien lui-même lorsqu’il disait que c’était un talent de sympathie, et lorsqu’il voulut en faire un talent d’invectives, l’instrument faussé se mit à rendre des sons discordans et criards. C’est à peine si à de rares intervalles une note mélodieuse et pure rappellera l’ancienne harmonie.

Michelet ne négligea rien pour assurer la durée de cette popularité brusquement conquise. Je tiens d’un témoin oculaire le récit d’une scène curieuse qui intervint un jour entre le professeur et quelques étudians délégués auprès de lui (c’était du moins leur prétention) par la jeunesse des écoles. Michelet avait dit dans son cours que la France avait été sauvée malgré la terreur. C’était par la terreur qu’il aurait fallu dire au gré de ces jeunes gens. Michelet, fort troublé, s’excusait, cherchait à se faire pardonner en expliquant sa pensée à ses élèves, devenus ses juges, et il fallut, pour lui rendre un peu de courage, que celui dont je tiens ce récit (il était alors élève à l’École normale), se mêlant à la conversation, l’assurât que la jeunesse des écoles n’était pas unanime sur ce point, et qu’aux yeux de beaucoup la terreur avait plus fait pour perdre la France que pour la sauver.

Ce n’était pas seulement comme professeur, c’était aussi comme écrivain que Michelet descendait à ces complaisances. Ce qu’il n’osait pas dire dans sa chaire, il le mettait dans ses livres. C’est ainsi qu’il publiait en 1845 le Prêtre, la Femme et la Famille, « livre d’analyse psychologique fine et profonde, » dit M. Monod. j’en demande pardon à M. Monod, d’ordinaire si judicieux dans ses jugemens, mais je ne puis trouver ni profondeur dans cette étude superficielle des procédés de direction des jésuites, ni finesse dans ces déclamations banales sur les dangers de la confession et du