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capitale. Les villes drapantes de la Picardie, de la Champagne, du Languedoc fabriquaient des quantités considérables d’étoffes de laine qui s’expédiaient dans toute l’Europe. La teinturerie conservait sa vieille supériorité ; on y employait le pastel, le brésil, le kermès, variété de la cochenille, qui se rencontrait en abondance dans les environs de Carcassonne, ce qui avait fait la fortune de cette ville, renommée au moyen âge pour ses belles teintures écarlates.

De grandes améliorations furent introduites sous les derniers Capétiens de la branche directe dans les constructions civiles et la disposition des appartemens. La pierre commença à remplacer le bois, surtout dans le midi, où les grandes forêts étaient rares. Les façades furent décorées d’armoiries chez les nobles, et chez les roturiers de branchages, d’arabesques, d’animaux. appartenant la plupart à la zoologie légendaire, car le moyen âge transfigurait le monde réel et ne l’entrevoyait qu’à travers les nuages du rêve. Dans les maisons royales, les échevinages, les grandes salles des abbayes, les parois intérieures étaient ornées de tapisseries, de fresques représentant des scènes empruntées à l’antiquité, à la mythologie, à l’histoire sainte, aux romans de chevalerie, de personnages qui tenaient des rouleaux sur lesquels étaient écrits des versets de la Bible ou des sentences morales. Quelquefois, au lieu de fresques, on écrivait sur les murailles des chansons, des ballades, de la musique, et les hôtes de ces pittoresques demeures vivaient comme encadrés dans les pages d’un immense manuscrit. Les meubles étaient peu nombreux, toutes les dépenses d’installation se concentrant sur la vaisselle de table. Dans les grandes familles, cette vaisselle était d’une richesse extrême ; les nobles y mettaient leur argent, comme dans une caisse d’épargne improductive, qu’ils pouvaient toujours convertir en monnaie ou donner en gage aux Juifs et aux Lombards à qui les rois, par dérogation aux lois canoniques, avaient accordé le privilège de faire l’usure. En temps de guerre, les uns l’enterraient, les autres l’expédiaient à longues distances, hors des atteintes de l’ennemi, dans des coffres solides nommés bahuts, qui servaient en temps de paix de sièges et de malles de voyage.

La période qui s’étend de Philippe-Auguste à la fin du règne de Philippe le Bel est sans contredit la plus brillante de l’ancienne monarchie, et comme son âge héroïque. Elle a vu les croisades, la chevalerie, les communes, nos plus belles provinces réunies au domaine royal, l’unité nationale fortement constituée, l’industrie florissante, l’art chrétien dans toutes ses splendeurs, et saint Louis arbitre de l’Europe ; mais les jours d’épreuve approchaient. Ravagée par les invasions anglaises, mutilée par les défaites de Crécy et de Poitiers, livrée aux brigandages des gens de guerre, aux sanglantes représailles des Jacques, la France, sous les premiers