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habitans privilégiés des villes. Ses enfans entrent dans la catégorie des citoyens honoraires ou bourgeois notables héréditaires, et sous ce titre ils jouissent en réalité d’autant de droits que leur père, dont ils n’ont pas hérité la noblesse. Le dvorianstvo personnel est ainsi devenu un vain titre ; il n’a jamais du reste eu d’importance, et la suppression n’en changerait rien à la hiérarchie sociale.

La noblesse héréditaire est la seule digne d’attention, la seule ayant une réelle importance. Comme la noblesse personnelle, elle est depuis des siècles ouverte à tous. Durant plus de cent ans, pendant le XVIIIe siècle et la première partie du XIXe, de Pierre le Grand à la fin du règne d’Alexandre Ier, la noblesse héréditaire appartint de droit à tout officier de l’armée et à tout employé civil d’un rang équivalent ; elle se gagnait avec la première épaulette, avec le grade d’enseigne, grade inférieur à celui de sous-lieutenant. On comprend ce que devait être une noblesse dont la porte était aussi largement ouverte et le seuil aussi bas. Une qualité ainsi prodiguée ne pouvait manquer de se déprécier et ravaler. Pour en arrêter l’avilissement, l’empereur Alexandre Ier en 1822, son frère Nicolas en 1845, l’empereur Alexandre II en 1854, ont successivement relevé de plusieurs degrés le seuil de la noblesse héréditaire. Aujourd’hui elle ne donne plus accès qu’aux colonels ou aux fonctionnaires civils décorés du titre de conseiller d’état actuel (4e classe). Les premiers grades ou tchines, qui longtemps ont eu droit au dvorianstvo héréditaire, sont réduits au dvorianstvo personnel. Outre la grande porte du tchine, la noblesse héréditaire garde des portes de côté : ce sont les décorations, les ordres impériaux qui anoblissent de droit. Le souverain enfin a la faculté, dont il use peu, de conférer la noblesse par gratification (jalovanié).

Le premier effet d’un tel système, c’est naturellement le grand nombre des nobles et par suite le peu d’aisance, le peu d’éducation, le peu de considération de beaucoup d’entre eux. Dans la seule Russie d’Europe, les statistiques donnent, pour le dvorianstvo héréditaire, environ 600,000 âmes, pour la noblesse personnelle et les petits employés plus de 300,000[1]. Il y aurait là de quoi recruter une grande armée entièrement composée de nobles. En Angleterre, en Allemagne même, dans tous les pays où la noblesse a conservé un prestige politique ou seulement un lustre de vanité, le nombre des hommes qui en sont revêtus est beaucoup moindre. En Russie, la multitude des nobles fait qu’on en trouve partout, à tous les degrés de l’échelle sociale, dont ils sembleraient devoir occuper le faîte. C’est dans le sein du dvorianstvo plutôt que dans la classe

  1. 535,000 nobles héréditaires dans la Russie proprement dite, 60,000 dans le royaume de Pologne. La noblesse personnelle compte environ 330,000 membres des deux sexes. (Statistitcheski Vrémennik, 1871 et 1873.)