Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respect a été accompli, la faute d’avoir fait intervenir la reine a été réparée, C’est ainsi que se conduisent les pays qui savent rester libres sans compromettre une institution fondamentale, et le lendemain du jour où a été proclamé le nouveau titre réellement assez impopulaire, le prince de Galles revenant de son voyage dans l’Inde n’a pas moins été accueilli à Londres par les ovations et les acclamations de la foule, qui a salué en lui l’héritier royal ou impérial de la vieille couronne d’Angleterre.

Un des spectacles parlementaires les plus intéressans est aussi celui qu’offre aujourd’hui l’Espagne, occupée à renouer ses traditions constitutionnelles et à rentrer dans le cadre d’une vie régulière. L’Espagne a certes passé depuis huit années par bien des épreuves dont la révolution de 1868 a été le triste point de départ. Elle a eu un assez long interrègne qui n’a eu d’autre résultat que de préparer et de hâter la désorganisation du pays. Elle a essayé de se donner une royauté étrangère qui n’a pu rien réorganiser et qui n’a été qu’une sorte d’intermède, un épisode promptement dénoué par le bon esprit du prince à qui des révolutionnaires dans l’embarras avaient décerné cette couronne de circonstance. Elle a glissé de la royauté étrangère, dans la république, une république qui n’a eu que le lustre inutile de l’honnête caractère, de l’éloquence de Castelar, et qui est devenue tout aussitôt une convulsion aiguë, une anarchie sanglante. Un instant, elle a vécu, ou plutôt elle a failli périr entre l’effroi des insurrections communalistes du midi et l’insurrection carliste du nord ; elle s’est vue sans armée, avec des assemblées agitatrices, avec des pouvoirs éphémères et disputés, entre toutes les menaces d’une démagogie meurtrière et d’un absolutisme suranné. Elle a parcouru le cercle des expériences jusqu’aux inévitables coups d’état qui ne manquent jamais dans les situations violentes, et tout cela naturellement lui a coûté cher : elle l’a payé de sa liberté, de sa fortune, de son crédit.

Comment s’est-elle tirée de là ? Tout simplement par la monarchie constitutionnelle, qui a reparu au moment favorable et qui a eu la chance de trouver pour la représenter un jeune roi d’une maturité précoce, d’un esprit ouvert et fin, avec un premier ministre assez bien inspiré, assez habile pour faire de cette restauration opportune une œuvre d’intérêt national. C’est par la monarchie constitutionnelle que l’Espagne a retrouvé depuis quinze mois un ordre régulier, une certaine confiance, les moyens d’en finir avec une guerre civile acharnée, et le mérite du chef du cabinet, de M. Canovas del Castillo, dans cette difficile entreprise, a été surtout de se pénétrer des circonstances, de comprendre son temps. Il a eu la prudence de faire avec le jeune représentant de la vieille dynastie une royauté nouvelle sans réaction, sans représailles des vaincus de 1868, sans esprit exclusif, en s’efforçant au contraire de rallier autour de son roi tous les partis libéraux divisés par les révolutions, plus ou moins compromis dans les