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véritables études historiques, mais se prêtait à merveille au récit passionné des temps révolutionnaires. Les grands amans de popularité, les grands maîtres dans l’art de courtiser la foule, Lamartine, Louis Blanc, l’avaient senti comme Michelet, et auraient pu lui dérober cette fleur de renommée que lui avait valu sa campagne contre les jésuites. Il s’empressa donc de faire comme eux et il publia, au commencement de l’année 1847, le premier poterne de l’Histoire de la révolution française.

J’ai entendu un jour le père Gratry comparer l’impression que produit sur nos esprits cette époque troublée de la révolution française à celle qu’auraient ressentie les peuplades de la Galilée, si les ténèbres de la nuit s’étaient entr’ouvertes pour leur laisser apercevoir le tentateur transportant le Christ sur la montagne. L’effroi mélangé d’admiration qu’aurait jeté dans leurs cœurs l’aspect de ce groupe diabolique et divin rendait à ses yeux le sentiment de répulsion et d’attrait que font naître dans nos esprits ces temps de crime et de grandeur. Aussi l’étude de la révolution a-t-elle exercé une sorte de fascination sur les esprits les plus divers de notre siècle, sur les plus précis et les plus calmes, comme sur les plus rêveurs et les plus fougueux, sur M. Thiers et M. de Tocqueville, comme sur M. Edgar Quinet et M. Taine, On dirait qu’il y a dans ces années, cependant si proches de nous, quelque mystère dont le secret nous échappe encore, et qu’on y va découvrir les origines obscures de la France moderne comme on espère découvrir dans les temps antéhistoriques le mystère de la genèse du monde. De là ces alternatives entre un enthousiasme qui va jusqu’à la complaisance criminelle et une réaction qui méconnaît parfois la justice. La mode historique est aujourd’hui du côté de la réaction, et il ne faut pas s’en plaindre si cette réaction reste dans des bornes assez mesurées pour ne pas provoquer en sens contraire un mouvement plus dangereux.

Parmi les motifs légitimes de ce retour de sévérité, on peut assurément compter les histoires conçues dans l’esprit où est conçue celle de Michelet. Je ne connais rien de plus téméraire, et l’on pourrait dire de plus insolent que la doctrine posée par Michelet dans l’Introduction de son Histoire. A ses yeux, la révolution française n’est pas seulement un grand fait historique dont les conséquences ont transformé la face de la France ; c’est un grand fait moral qui a inauguré une nouvelle doctrine dans l’histoire religieuse de l’humanité. Il pose en propres termes cette question : la révolution française fut-elle chrétienne ou antichrétienne ? Et il répond hardiment : antichrétienne. Le christianisme était la religion de la grâce et de l’amour, c’est-à-dire de l’arbitraire. La révolution