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Ces effusions déplacées me remettent toujours en mémoire certaine boutade d’un père de l’ancien régime dont la fille se laissait embrasser par son mari dans un salon : « Monsieur mon gendre, ne pourriez-vous pas descendre avec ma fille tout baisés ? » Rien de pareil dans les œuvres qui sont dues à la plume de Mme Michelet.. On n’y trouve que les élans d’une tendresse profonde dont aucune indiscrétion ne vient déparer la gravité. Je ne me serais même pas cru autorisé à mêler à cette étude le nom de la compagne de Michelet, si à partir du second mariage de l’historien on ne se trouvait en présence d’une double vie. Je ne parle pas seulement de cette collaboration dont j’essaierai tout à l’heure de préciser la nature. Je parle aussi de cette initiation simultanée à l’amour et au sentiment de la nature, qui renouvela et rajeunit Michelet. J’ai raconté son enfance douloureuse, sa jeunesse austère, son âge mûr solitaire et sans joie. J’ai peint aussi sa vie fiévreuse d’écrivain et de professeur, ne sortant guère de chez lui que pour se rendre aux Archives ou au Collège de France. Mais lorsque, assez peu de temps après son second mariage, la perte de ses places et les difficultés de la vie matérielle l’engagèrent à commencer le cours de ces longs séjours à la campagne dont il devait tirer une si abondante moisson, les conditions de son existence se trouvèrent en quelque sorte deux fois transformées : ce fut ait sein de la nature oubliée qu’il acheva de retrouver son cœur évanoui.

La première retraite choisie fut une assez grande maison de campagne, située non loin de la mer, sur une colline qui voit les eaux jaunes de Bretagne aller joindre dans la Loire les eaux grises de Vendée. Perdue au milieu d’une forte et luxuriante végétation qui bornait la vue de tout côté, la maison était tapie auprès d’un cèdre géant, et préservée par un bois de pins qui, incessamment balancés au vent de la mer, animaient le profond silence du lieu d’une mélancolique harmonie. « Ce fut là, dit Michelet, que je recommençai à entendre les voix de la solitude, et mieux je crois qu’à tout autre âge, mais lentement et d’une oreille inaccoutumée, comme celui qui serait mort quelque temps et reviendrait de là-bas. » Cependant l’humidité du climat, peut-être aussi le trop brusque changement d’une vie de fièvre à une vie de repos, éprouvèrent Michelet et semblèrent atteindre en lui « ce nerf de la vitalité sur lequel rien n’eut jamais prise. « Il fallut chercher d’autres climats. Le couple suivit la route que lui traçaient les hirondelles et posa son nid mobile dans un pli des Apennins. « J’avais, continue Michelet, pour toute promenade un petit quai ou plutôt un scabreux chemin de ronde qui serpente, toujours serré et le plus souvent de trois pieds de large, entre les vieux murs de jardin, les écueils et les précipices. Profond était le silence, la mec brillante, mais seule,