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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/499

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semblable à notre vie. Dans ces climats, la nature lui paraissait moins inexorable et plus facile ; elle comprend mieux l’homme, et l’homme la comprend mieux.

Ce besoin de communion avec la nature devait bientôt le conduire à chercher la sympathie, non pas seulement dans ce monde inanimé au sein duquel nous vivons, mais dans ce monde animé dont l’existence se mêle bien davantage à la nôtre. Pourquoi en effet dans ses tristesses l’homme ne se tourne-t-il pas plus souvent vers les compagnons muets de ses labeurs, vers les animaux qui l’environnent et qui, atteints comme lui du mal secret de la vie, le comprendraient mieux encore que la nature ? Pour premier objet de ses études et de ses amours, Michelet a choisi l’oiseau. Pourquoi ? Parce qu’il plane au-dessus des réalités de la vie, parce qu’il a des ailes. Oh, des ailes ! rêve de toute créature ! « Des ailes par-dessus la vie, des ailes par-delà la mort ! » Illusion trompeuse des songes de l’homme qui s’élève en dormant au-dessus du monde et qui retombe au matin ! Espoir de la femme qui voit l’enfant qu’elle a perdu passer en volant dans la nuit ! « Songes ou réalités ? rêves ailés, ravissemens des nuits que nous pleurons tant au matin,, si vous étiez pourtant ! Si vraiment vous viviez ! si nous n’avions perdu rien de ce qui fait notre deuil ! si d’étoiles en étoiles, réunis, élancés dans un vol éternel, nous suivions tous ensemble un doux pèlerinage à travers la bonté immense… On le croit par momens. Quelque chose nous dit que ces rêves ne sont pas des rêves, mais des échappées du vrai monde, des lumières entrevues derrière le brouillard d’ici-bas, des promesses certaines, et que le prétendu réel serait plutôt le mauvais songe. »

Montant si haut, on comprend qu’il ne faille pas demander à Michelet les minuties de l’observation scientifique, ni l’exactitude des descriptions. J’ai eu la curiosité de relire à cette occasion quelques-unes des descriptions les plus célèbres de Buffon, dont Michelet ne semble pas connaître l’existence, et auquel il fait cependant, sans l’avouer, d’assez fréquens emprunts. Le vieil auteur classique n’a rien à redouter d’une comparaison prolongée. L’homme de goût préférera toujours la sobriété, l’exactitude, la justesse continue de ses tableaux aux couleurs plus éclatantes de Michelet ; mais avec Buffon on rase toujours un peu la terre, avec Michelet, on suit véritablement l’oiseau dans son vol, et surtout on vit avec lui, on sait s’il est, par sa nature, triste ou gai, heureux ou souffrant. « La petite alouette est l’oiseau rustique et joyeux qui, dès que le jour commence, quand l’horizon s’empourpre et que le soleil va paraître, part du sillon comme une flèche et porte au ciel l’hymne de joie. » Le héron, « c’est le rêveur des marais, l’oiseau contemplateur qui, en toutes saisons, seul, devant les eaux grises, semble