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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/518

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meilleur. » Plus ferme et plus touchante encore est l’espérance. qu’exprime la dernière ligne de son testament : « Dieu me donne de revoir les miens et ceux que j’ai aimés ! Qu’il reçoive mon âme reconnaissante de tant de biens, de tant d’années laborieuses, de tant d’œuvres, de tant d’amitiés. » Cette espérance dut le soutenir durant sa longue agonie de sept jours, où il ne murmura que des paroles indistinctes dont quelques-unes parurent trahir le regret de n’avoir pas vu la France renouer la chaîne de ses traditions monarchiques. Il expira à Hyères le 9 février 1874, à midi.

Le testament de Michelet contenait ces mots : « Je serai transporté, sans cérémonie religieuse, au cimetière le plus voisin, avec l’appareil le plus simple. Qu’on donne aux pauvres ce qu’on aurait dépensé. Plus tard, à la mort de ma femme, un tombeau commun de famille pourra être élevé. » On sait les incidens pénibles auxquels l’interprétation de cette clause a donné lieu, l’inhumation précipitée et presque violente à Hyères, les contestations judiciaires entre la veuve et le gendre de Michelet, enfin la décision du tribunal ordonnant que sa dépouille serait rapportée à Paris et inhumée au Père-Lachaise. Je n’ai pas à donner mon avis dans un débat qui a été clos par la justice ; mais je ne puis, en terminant, m’abstenir d’une réflexion. Il y a en Michelet, tel que je l’ai compris, deux hommes : l’un sensible, aimant, ouvert aux émotions généreuses, intelligent de tous les grands souvenirs de l’histoire et de tous les grands spectacles de la nature ; l’autre, âpre, irrité, malade, homme de passion et homme de parti. Le premier de ces hommes aurait aimé, ce me semble, à reposer dans le modeste cimetière d’Hyères, ou dans le jardin de « cette villa Rosa, assise à mi-côte en face de la mer, qui au lendemain de la mort lui offrit au milieu de ses fleurs un abri d’un moment. » L’autre aurait préféré ce tumultueux cimetière du Père-Lachaise, attristé par le souvenir des dernières résistances de la commune, perpétuellement troublé par des manifestations bruyantes, et qui ne laisse même pas aux morts le repos qui leur est promis. Eh bien ! si j’avais été de ceux qui ont connu Michelet, qui l’ont passionnément aimé, j’aurais cherché à faire vivre le premier de ces deux hommes, à laisser oublier le second. J’aurais aimé autour de son cercueil plutôt des prières que des discours, et je n’aurais point trouvé qu’il dormît solitaire sous le soleil éclatant du midi, au sein d’une nature forte et riante, au parfum des orangers et des roses. Enfin, pour honorer sa tombe comme pour bercer sa mémoire, j’aurais préféré à la vaine curiosité de la foule la visite de quelques amis fidèles, et aux rumeurs de la grande ville le murmure de la Méditerranée.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.