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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/535

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soit enchantée de M. Pérignon. Cet aimable peintre a le don de l’arrangement, il entre dans vos goûts, dans vos fantaisies ; sans vous flatter, il vous accommode à votre guise, et ce qui tient presque du miracle, ses modèles restent toujours ses amis ; il n’y a jamais eu de tragédie dans cette carrière de portraitiste. Nous déclarons à M. Armand Leleux qu’il a grand tort, s’il n’est pas content de son portrait fait par lui-même. Il est d’une facture excellente, d’une exécution ferme, sérieuse, réfléchie, raisonnée, où rien n’est laissé au hasard, où tout est cherché et pourtant bien venu. M. Leleux nous répondra peut-être qu’il n’a pas réussi à se donner l’air tendre. Eh ! oui, c’est le portrait d’un homme qui déteste cordialement les gens qu’il n’aime pas. Quelqu’un disait : « N’approchez pas, il va vous mordre. » Est-ce un défaut ? Les hommes qui n’ont pas de haines vigoureuses ne sont jamais que des amis tièdes.

Les pires modèles, les plus redoutables pour un portraitiste, sont ceux qui se piquent de ressembler au portrait d’un autre, à qui ils ne ressemblent pas du tout. En examinant le portrait de sa rivale, une héroïne de Shakspeare, la blonde Julie, s’écriait : « Je crois que ma figure, si j’étais parée comme elle, serait tout aussi agréable que la sienne, et cependant le peintre l’a un peu flattée. Sa chevelure est cendrée, la mienne est blonde comme l’or ; je changerai la couleur de mes cheveux. Ses yeux sont gris comme le verre, les miens le sont aussi. Oui, mais elle a le front très bas, le mien est très élevé. Qu’y a-t-il donc qui plaise en elle que je ne puisse trouver aussi aimable en moi ? » Voilà qui va bien ; mais le peintre est fort embarrassé, quand Julie exige que ses cheveux d’or produisent exactement le même genre d’effet que les cheveux cendrés de Sylvie, quand elle affirme que son large front ouvert ressemble à peu près à un petit front bas.

Avant peu, une femme d’épaisse encolure ira trouver M. Machard et lui dira : — Monsieur, vous aviez au Salon un portrait de Mme la baronne d’A…, qui m’a charmée. On y retrouve quelque chose de cette finesse de dessin, de cette exquise élégance que vous avez répandue dans ce gracieux plafond où il vous a plu de représenter Psyché assise sur un nuage au milieu des zéphyrs et levant la tête pour recevoir les baisers frémissans de l’Amour. Je ne vous demande pas de me représenter en Psyché ; mais je voudrais ressembler à la baronne d’A… Comme elle, j’aurai une rose dans les cheveux et j’entrelacerai les doigts de mes deux mains, qui certainement valent les siennes ; ce sera votre faute si elles n’ont pas l’air aussi distingué. — Le même jour, une brune rébarbative dira à M. Baudry : — Le portrait de Mlle D… a ravi tout le monde ;