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il y a tout et il n’y a rien de trop. On sent bien que c’est un sculpteur qui a modelé ces corps ; il leur a donné une remarquable solidité, ils remplissent leurs vêtemens, ils sortent de la toile. Ce sculpteur est un grand coloriste ; il vous montre du noir, du gris et une tache rose, et ce noir, ce gris, cette tache rose, éteignent, massacrent à dix mètres à la ronde tous les rouges, tous les jaunes, tous les bariolages de couleurs. L’œuvre est magistrale ; on se demande si Velasquez n’a point passé par là. MM. les peintres prendront-ils leur revanche ? L’un d’entre eux exposera-t-il l’an prochain une statue de marbre ou de bronze devant laquelle le public se pâmera ?

Trois chiens du Jardin d’acclimatation, Vaillant, Souillard et Renfort, ne doivent pas regretter le temps qu’ils ont employé à poser devant M. Cathelinaux. Ils ont trouvé leur homme ; voilà trois têtes expressives et chaudes de couleur. Vaillant a la prunelle sanglante et l’air brigand, Souillard a évidemment l’esprit étroit et morose, c’est un plaisir de causer avec Renfort ; il entend les choses à demi mot. M. Eugène Lambert, dont toutes les sympathies sont pour la race féline, immole un toutou et un roquet ridicules à la gloire d’un magnifique rominagrobis, qui a l’œil vert, luisant et dur ; mais à quoi donc a pensé M. Vandenbosch, en nous représentant un chat qui vient de renverser une écritoire, et, couché sur le flanc, continue de tripoter dans l’encre ? Cette action insolite est contraire à tous les principes. C’est calomnier les chats que de les croire capables de renverser des encriers, et, lorsqu’il leur arrive de se barbouiller les pattes, ils ne s’occupent, toute affaire cessante, que de les secouer et de les nettoyer. Le chat de M. Vandenbosch est un matou d’aventure.

Ah ! par exemple, les deux douzaines d’huîtres dont M. Philippe Rousseau a fait le portrait, sont bien difficiles si elles ne sont pas contentes de lui. Il nous les montre en compagnie du couteau qui les a ouvertes, et de deux citrons. On a tout dit sur M. Philippe Rousseau ; c’est un des plus beaux peintres de ce temps, il n’a rien à envier à Chardin. Ce qui nous plonge dans une admiration profonde, c’est que la ressemblance de ses huîtres est parfaite, et qu’il a pourtant réussi à leur donner de l’esprit. Nous connaissons des portraitistes qui lui seraient fort obligés, s’il voulait bien leur enseigner son secret.


VICTOR CHERBULIEZ.