Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur ses bords furent enlevées à leurs émirs arabes ou se rendirent à discrétion, et le comté d’Edesse, la plus ancienne des principautés franques d’Orient, se trouva constitué. Tous, Grecs, Arabes, Arméniens, émerveillés de tant d’audace, acceptèrent le joug du vainqueur. Un peu plus de deux ans après ces événemens, la nouvelle de la mort prématurée de Godefroy de Bouillon et de sa propre élection à la couronne de Jérusalem vint surprendre Baudouin. Il quitta sa comté d’Edesse, la cédant avant son départ à son cousin Baudouin du Bourg.

Pendant ses deux ans de règne, Baudouin Ier fit frapper monnaie de cuivre. En vrai chevalier du moyen-âge, dédaigneux de l’art et de toute élégance, il se servit simplement des grossières pièces de cuivre byzantines et y fit graver son effigie par-dessus les types primitifs. Ces pièces, pour être informes et barbares, n’en offrent pas moins un vif intérêt, ne serait-ce que parce qu’elles représentent les plus anciennes monnaies émises par les guerriers chrétiens dans le Levant. Le revers porte une simple croix, mais sur la face principale, Baudouin s’est fait représenter en pied, en costume de guerre, en cotte de mailles, la tête coiffée du heaume conique, la main gauche appuyée sur la garde de sa grande épée. Voilà pour le conquérant et pour le guerrier ; mais Baudouin est trop pieux, ou plutôt trop politique, pour négliger le côté religieux, si important alors, en cette circonstance surtout, où il doit se faire pardonner d’avoir abandonné la route du saint-sépulcre pour satisfaire son ambition personnelle. Aussi, de la main droite, le voyons-nous élever au-dessus de sa tête la croix, et, sur la légende en langue grecque disposée autour de l’effigie centrale, lisons-nous ces simples mots : Baudouin, serviteur de la croix. C’est bien là la véritable effigie du croisé modèle brandissant en guise de sceptre le pieux symbole pour lequel il semble avoir tout abandonné, patrie, famille, riche héritage paternel, aux yeux des masses ignorantes et fanatisées.

Comme la croix de la monnaie de Baudouin représente le côté religieux, les caractères grecs de la légende représentent le côté politique et les préoccupations plus terrestres du chef croisé devenu, de simple pèlerin, prince puissant et administrateur d’un véritable état. Il faut flatter la population grecque d’Edesse ; il faut ne pas lui faire trop vivement sentir qu’elle est vaincue et forcée d’obéir à des étrangers, à des Latins, à des schismatiques détestés ; il faut lui montrer son nouveau chef, lui faire épeler son nom et ses titres dans la langue qui est la sienne. Partout les croisés se montrèrent ainsi plus politiques qu’on ne serait tenté de le croire et se plièrent aux exigences des diverses contrées où ils s’établirent. Dans le nord de la Syrie, à Antioche comme à Edesse, ils