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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/692

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recrutement les fournit comme les soldats de l’armée de terre. Aussi le nombre des hommes d’équipage en temps de guerre pourrait-il être en quelque sorte illimité, s’il était possible de les employer à bord sans aucune instruction préalable. Le maniement des flottes actuelles exige certainement des marins moins expérimentés, mais encore un certain apprentissage est-il toujours nécessaire. L’inexpérience d’hommes provenant en grande majorité du recrutement serait donc une cause inévitable d’infériorité, si ce défaut n’était en partie compensé par la durée du service, qui est de quinze ans, dont dix ou douze à passer dans le service actif et le reste dans la réserve. Pendant ces dix années, la nature la plus rebelle finit toujours par se plier au métier de la mer. Le paysan russe se familiarise avec le navire, où il est d’abord fort malheureux et fort emprunté, mais où il finit par contracter des habitudes. Cela suffit, avec les exercices de chaque jour et l’action d’une discipline très sévère, pour transformer en un matelot passable la recrue la plus attachée d’abord au sol immobile du pays. La race est d’ailleurs naturellement patiente, docile, résignée. Elle aime la patrie ; elle est profondément dévouée au tsar, imbue de l’idée que son sang et sa vie lui appartiennent. Si ces conditions ne suffisent pas pour faire de vrais matelots, elles sont certainement suffisantes pour faire de bons artilleurs, et c’est à peu près tout ce qu’il faut dans la marine de nos jours. Le gréement n’y est plus qu’un encombrement dont beaucoup d’officiers demandent à être débarrassés, particulièrement sur les navires à tourelles. Les voiles, qui furent l’âme des anciennes flottes, et dont l’habile et prompte orientation dans les batailles détermina souvent la victoire, ne sont plus avec les mâts et les agrès qu’une gêne pour le tir des canons à bord des bâtimens cuirassés ; mais, en dépit de ces transformations, les gens de mer feront toujours les meilleurs équipages ; la Prusse le comprend, car elle les recrute exclusivement pour ce service. Ceux-ci sont peu nombreux cependant, et la désertion à l’étranger diminue chaque jour cette population ; mais le gouvernement de Berlin ne se laisse pas émouvoir par cette résistance, tant il est convaincu de la nécessité d’avoir des marins pour la marine. Il pourrait compenser, en cas de guerre, le nombre par la qualité, et ses bâtimens, équipés par des matelots, pourraient espérer l’avantage sur des bâtimens d’égale force où seraient placés des soldats. Autre chose est la vocation, autre chose est le devoir, et ce qu’on fait avec entrain vaut toujours mieux que ce qu’on fait avec résignation. Le gouvernement russe doit y avoir réfléchi. Pourquoi ne s’adresse-t-il pas, comme les autres gouvernemens, à ses sujets du littoral ? Les pêcheurs ne manquent pas dans le golfe de Finlande, dans les îles et aux embouchures des rivières tributaires de la mer Baltique. On en évalue