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redoublement de puissance productive au travail de tous et de chacun, une vive impulsion à la richesse de la société et à la diffusion du bien-être parmi toutes les classes. À ces avantages matériels on pouvait voir déjà qu’il s’en ajoute d’autres qui sont précieux, et particulièrement l’apaisement des passions qui tendraient à diviser a société en deux camps ennemis, celui des ouvriers et celui des capitalistes, celui des riches et celui des pauvres. Or il était visible, pour ceux qui prenaient la peine d’observer, que ces passions couvaient sur le continent européen, autant sinon plus qu’en Angleterre.

Occupons-nous de la France, puisque c’est notre patrie et que tout ce qui la concerne nous est doublement cher. Constatons dans quelles circonstances et à quels momens la réforme commerciale s’y est accomplie et quels résultats elle y a donnés. Le changement de la vieille politique commerciale a commencé chez nous très tardivement. Lorsque le second empire se constitua, le régime des douanes encore en vigueur avait pour formule la loi célèbre du 10 brumaire an V, en vertu de laquelle, à l’égard des dix-neuf vingtièmes ou des quatre-vingt-dix-neuf centièmes des produits. manufacturés, il y avait une règle uniforme très nette et très concise, mais aussi très brutale, la prohibition, qui est l’exclusion absolue ; pour rendre celle-ci effective, des lois servant de commentaire au tarif lui donnaient pour auxiliaires la confiscation préventive, la dénonciation soldée, les visites domiciliaires, et ce qui est plus fort, les « visites à corps, » véritable insulte à la morale publique et à la pudeur.

Ce luxe de prohibitions et de corollaires vexatoires était un legs des gouvernemens qui s’étaient succédé de 1792 à 1814, et qui avaient adopté ce système ou l’avaient maintenu à titre de machine de guerre spécialement à l’adresse de l’Angleterre, mais s’appliquant aux marchandises de toute provenance parce qu’elles auraient pu être anglaises. Le gouvernement de la restauration, malgré l’avis timidement exprimé de quelques-uns de ses conseillers, avait accepté cet héritage d’arbitraire et de despotisme comme une chose qui allait de soi et se conciliait très bien avec la paix rendue au monde. La seule atténuation qu’il apporta aux rigueurs du tarif de l’empire fut d’abaisser fortement les droits prodigieux dont l’empereur avait frappé les denrées dites coloniales, le sucre, le café, le thé et quelques substances tinctoriales venant des régions intertropicales, ainsi que le coton brut. Il se flattait d’en déshabituer l’Europe continentale en y trouvant des substituts. A part ce changement prescrit par les circonstances, le tarif des douanes de la restauration contenait toutes les prohibitions de l’époque de guerre ; il y en joignit même quelques-unes de nouvelles.