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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/758

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française en perte de 100 francs pour chaque centaine de kilogrammes qu’elle fabrique de la sorte de filé dont il s’agit. Voilà un résultat dont il n’y a pas lieu de se vanter. Que si la redevance de 100 fr. n’est pas nécessaire pour que cette industrie se tienne sur ses pieds, on conviendra que le fait de la demander pourrait être sévèrement qualifié. Les industries non protégées, au contraire, vivent d’elles-mêmes. Leur bilan vis-à-vis du pays est positif au lieu d’être négatif. Elles favorisent la création d’un nouvel approvisionnement de capitaux, ce qui permet de développer le travail et d’en accroître la puissance productive. Les autres, par le subside qu’elles dévorent, restreignent ou ralentissent la création de nouveaux capitaux et empêchent les conséquences heureuses qu’elle ne manquerait pas d’avoir.

Il est possible de démontrer aux protectionistes par une comparaison simple combien peu est concluante l’argumentation dont ils font si grand état et que nous retrouvons dans la bouche du manufacturier rouennais nommé plus haut. S’il suffisait qu’une industrie protégée donnât lieu à beaucoup de travail pour qu’elle fût recommandable et que la société fît une opération raisonnable et avantageuse, en payant à ceux qui la pratiquent, sous la, pression d’un tarif de douanes protectioniste, une subvention plus ou moins considérable, voici ce qui s’ensuivrait : il serait convenable, que dis-je, profitable à la société, qu’il s’érigeât des établissemens où l’on cultiverait le café en serre chaude, sauf à frapper d’un droit élevé le café des régions équinoxiales, de manière à l’écarter. Que de travail en effet pour construire les serres immenses que réclamerait la récolte de café nécessaire à la France ! Quelle production de fer, de verre à vitres, de calorifères ! Combien de jardiniers et de chauffeurs occupés à la culture courante ! Combien de mineurs de plus dans les houillères pour l’extraction du charbon réclamé pour le chauffage de ces serres colossales ! — Une telle entreprise, direz-vous, serait absurde. Oui, sans doute ; mais pourquoi ? Parce que le café, ainsi produit, reviendrait à un prix plus élevé que celui des colonies. Mais si l’élévation du prix de revient est une objection invincible contre l’organisation de la culture du café en serre chaude, elle l’est également contre des manufactures qui ne pourraient subsister qu’à l’aide de la protection. Elle renverse le principe protectioniste même.

Ce que nous disons ici n’est pas une nouveauté, d’autres l’ont dit avant nous, il y a longtemps. On lit dans Turgot : « La valeur vénale de toute denrée, tous frais déduits, est la seule règle pour juger de l’avantage que retire l’état d’une certaine espèce de productions. Par conséquent, toute manufacture dont la valeur vénale ne dédommage pas avec profit des frais qu’elle exige n’est d’aucun