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cette triste ressource de la liquidation, heureux quand ils ont du temps devant eux pour y procéder aux moindres frais. On plaint les familles qui y avaient placé leur avoir ; mais personne n’a érigé en principe que la société leur dût un subside à perpétuité pour les tenir en activité : aucun état ne serait assez riche pour subvenir à de tels sacrifices, qui iraient toujours croissant par la force des choses. Les manufactures, en nombre extrêmement restreint, qui seraient dans l’impossibilité d’exister à moins d’une subvention résultant d’un droit protecteur inscrit à jamais au tarif des douanes, se trouveraient exactement dans le même cas et devraient se résigner au même sort par la même raison.

Quant à la filature du coton en particulier, elle est loin d’être réduite à une pareille extrémité. Il n’y a aucune raison pour qu’en France elle ne livre pas ses produits à très peu près au même prix qu’en Angleterre. Le climat, tout au moins de la Normandie et de nos départemens du nord, c’est-à-dire des parties de la France où cette industrie a son siège, est le même que celui de l’Angleterre. La matière première est au même prix, les hommes se valent ; le charbon est à meilleur marché en Angleterre, et les métiers coûtent moins ; mais en France les salaires sont moindres, et la journée de travail est plus longue, ce qui fait plus que la compensation. Tout recommande d’ailleurs que d’ici à peu de temps les outils, métiers et machines soient affranchis de droit. C’est de gaité de cœur retarder le perfectionnement de l’industrie que de soumettre à des droits des objets de ce genre. En Allemagne et en Suisse, les droits de douane sur les filés de coton sont très faibles, et pour beaucoup de sortes à peu près nuls, auprès de ceux qui existent en France : 15 centimes, avons-nous dit, par kilogramme en Allemagne pour les variétés qui composent la presque totalité de l’importation, et qui comprennent les fils simples et doubles, les plus fins aussi bien que les plus gros, pourvu qu’ils soient écrus, alors que chez nous ils vont pour la même catégorie au-delà du vingtuple. En Suisse, ils sont aussi très modérés. Les Allemands et les Suisses étant ainsi à peu près au niveau des Anglais, il n’y a pas de motif pour que nous ne soyons pas de même, si nous le voulons bien.

Il se passe présentement à cet égard un fait qui nous paraît trancher la question. Par l’effet de la fatale guerre de 1870-71, l’Alsace a été incorporée à l’Allemagne et soumise au régime des douanes allemandes. L’industrie cotonnière était et est demeurée la principale de cette province. Ses filatures, qui étaient nombreuses, sont passées du tarif ultra-protecteur de la France au tarif très peu protecteur des Allemands ; elles supportent très bien le changement de régime, et ce qui le prouve, c’est qu’à ce moment de nouvelles