Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands rois devaient bientôt avoir à compter. Composée d’abord de trois villes, la ligue anséatique finit par en embrasser quatre-vingt quatre. Elle exploita les côtes de la Poméranie, de la Livonie, de l’Esthonie, de l’Ingrie. De Brème à Narva on comptait, en y comprenant l’entrepôt central de Wisby sur l’île de Gotland, plus de vingt ports ouverts aux vaisseaux des osterlingues[1]. Les eaux du Rhin, de l’Ems, du Weser, de l’Elbe, établissaient une circulation continue entre l’Océan et l’intérieur de l’empire germanique ; celles de la Trave, de l’Oder, de la Vistule, du Pregel, du Niémen, de la Duna, aspiraient par vingt bouches les arrivages qu’accueillait la Baltique. Trois comptoirs fondés, le premier à Novgorod, le second à Bergen, le troisième à Londres, complétaient le réseau dans lequel Venise et la Hanse semblaient s’être entendues pour enlacer le monde.

Le déploiement de tant d’activité n’amena néanmoins aucun progrès sensible dans les procédés de l’art naval. La seule navigation que connaisse le moyen âge, c’est la navigation qui va de cap en cap, en d’autres termes, la navigation de cabotage. Le pilote côtier tient lieu de boussole, d’astrolabe et de carte marine. Sur les deux rives de la mer d’Allemagne stationnaient constamment de nombreux lamaneurs, relais échelonnés qui devaient, à l’instar de nos maîtres de poste, se passer, avec une fidélité scrupuleuse, les flottilles marchandes de main en main. Tel pilote prenait les vaisseaux sur la côte de Flandre et les conduisait à l’entrée du détroit de Douvres ; tel autre les ramenait le long de la côte d’Angleterre, au nord des bancs de Yarmouth. Le guide avec lequel on franchissait le Pas-de-Calais n’était pas celui qui vous faisait doubler l’île de Batz. Ce dernier vous livrait à un nouveau pratique, si vous deviez pousser jusqu’à Vannes. La Rochelle, Bordeaux, Lisbonne même, sont des postes de pilotage mentionnés par le code maritime de Wisby à côté de Travemunde, le port de Lubeck, de Sluys[2], le port de Bruges, d’Amsterdam, le grand entrepôt du Zuiderzée. Cette marine puissante ne serait probablement jamais sortie de l’enfance. Sûre de son monopole, elle n’avait aucun intérêt à tenter des voies inconnues. Nous la retrouverions encore aujourd’hui avec ses lisières, si, du foyer allumé au sein des cités lombardes, quelque étincelle n’eût jailli jusqu’aux rivages de la Grande-Bretagne.

Un Génois pouvait se vanter en l’année 1505 « d’avoir fait don des Indes au roi d’Espagne. » Un autre Génois rendit à l’Angleterre un service non moins signalé peut-être, en lui apportant ces notions de cosmographie générale si répandues alors en Italie, si peu

  1. C’est sous ce nom qu’étaient connus à Londres et à Anvers les marins de la Baltique.
  2. Sluys, nom flamand du port de l’Écluse.