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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/792

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que lorsqu’il a dû parler de l’Amérique. C’est qu’en effet ce sujet de la grande république transatlantique, si l’on y regarde d’un peu près, correspond d’une manière très intime à la nature de son esprit. M. Dixon aime les contrastes, et quel champ plus plantureux d’antithèses que ce vaste pays où toutes les races et toutes les sectes se rencontrent mêlées ; il aime les conjectures et les hypothèses, et l’Amérique les autorise toutes, car un état social en voie de formation comme une science imparfaite permet toute supposition, et il n’y a pas de paradoxes lorsqu’il faut juger d’un pays d’un court passé, et dont la vie est surtout dans l’obscur avenir.


I. — EN CALIFORNIE.

« Hepworth Dixon a compté les loupes et les verrues de l’Amérique, » nous disait, il y a huit ans, un de nos collaborateurs et amis, qui a de grandes raisons d’aimer les États-Unis et que le succès de New America avait mécontenté. White Conquest n’est pas fait pour servir de correctif à ce jugement, car ce ne sont plus seulement d’inoffensives et bizarres excroissances que nous montre cette fois M. Dixon, mais bien des ulcères et des dartres vives. Le titre semble cependant plein de promesses heureuses, White Conquest, la conquête de la race blanche ; malheureusement on peut l’entendre dans un double sens dont le dernier n’est rien moins que flatteur pour notre race et rassurant pour les destinées de l’Amérique. Bien que M. Dixon ne professe nulle part les doctrines du célèbre Darwin, on peut dire que son livre est darwinique d’esprit et de couleur, car ce qui ressort de l’ensemble de ses tableaux et de ses conclusions n’est rien autre que la fameuse théorie du struggle for life, qu’il nous montre en voie de réalisation sur le sol de l’Amérique, Osons condenser brutalement l’opinion que M. Dixon a laissée éparse dans son livre, et qui souvent reste inaperçue, masquée qu’elle est par les couleurs brillantes des peintures et le mouvement dramatique des scènes. L’heure approche rapidement où la race blanche aux États-Unis aura cessé, si elle manque de sagesse, d’être maîtresse de ses destinées, Le temps n’est plus où, libre de ses mouvemens, les pieds appuyés sur un peuple noir dont l’esclavage était la garantie de ses droits et la clé de voûte de son pacte républicain, elle ne rencontrait devant elle que de pauvres peuplades sauvages qui s’éloignaient à son approche. Aujourd’hui trois races se dressent à ses côtés sur le sol de l’Union pour lui disputer soit une part du territoire comme la race rouge des Indiens, soit une part du pouvoir politique comme la race émancipée des noirs, soit une part du travail comme la race mongolique.