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destiné à payer tous les péchés de l’ancienne institution de l’esclavage. Elle expie non-seulement pour elle, mais pour tous les autres états qui se sont débarrassés ou se débarrasseront de leur population noire à son détriment. Ce malheureux état exerce en effet une sorte d’attraction magnétique sur la race noire, pour laquelle il semble une terre de Chanaan ou un Eldorado magique. ils y affluent en conséquence de tous les états voisins, et déjà le Missouri, le Kentucky, le Maryland et la Virginie se sentent respirer plus librement, grâce à cet exode sous lequel halète et étouffe au contraire la Caroline du sud.

Toutefois, malgré ces conditions désavantageuses, le sud pourrait aisément résister, s’il était laissé à lui-même, seul en face de ses noirs. La force des mœurs et des habitudes combat encore et combattra longtemps pour les blancs. Ces noirs, vainqueurs aux batailles du scrutin et politiquement maîtres des blancs, se garderaient bien de se mêler à eux dans d’autres réunions que des assemblées législatives, de se ranger à l’église sur les mêmes côtés, de monter dans les mêmes voitures publiques, de prendre les mêmes places aux bateaux à vapeur. « Les nègres ne viennent jamais en votre compagnie ? demande en chemin de fer M. Dixon à un voyageur. — Jamais ; un nègre s’asseoir parmi nos femmes et nos sœurs ! — N’a-t-il pas les droits légaux ? — Oui, les droits que les règlemens et les articles peuvent lui donner, mais il connaît sa place beaucoup mieux que ne la connaissent les sadawags. » Même dans cette Caroline du sud, toute submergée qu’elle est par le déluge des hommes de couleur, une des phrases que l’on entend le plus souvent prononcer, c’est que pas un de ces hommes libres n’oserait regarder un gentleman en face. Dans les luttes de la vie publique, le noir, soutenu par ses meneurs, affronte assez résolument le blanc, mais dans toutes les choses de la vie sociale, il recule devant lui ; c’est tout à fait la reproduction de cette ancienne histoire des esclaves scythes, qui, s’étant révoltés contre leurs maîtres, leur résistèrent vaillamment tant qu’ils se battirent avec l’arc et la lance, mais qui perdirent tout cœur et lâchèrent pied le jour où leurs tyrans se présentèrent à eux sans autres armes que les fouets dont ils avaient l’habitude de les frapper. Et puis une influence toute-puissante, la plus aristocratique de toutes, celle à laquelle rien ne résiste, combat en faveur des anciennes habitudes, la volonté des femmes. Les hommes céderaient peut-être quelquefois, les femmes ne céderont jamais. Elles supporter le voisinage de ces êtres à la tête laineuse, à la peau suante, à l’aigre odeur de petit-lait, être obligées de souiller leurs yeux de ces grimaces simiesques et leurs oreilles de ce jargon de macaque ! Les lois ont pu