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scrutins. A ces ligues noires répondent invariablement des ligues blanches qui souvent s’empressent de défaire l’ouvrage de leurs ennemis, sous le prétexte presque toujours justifié d’illégalité et de violence. Il s’ensuit des collisions, et souvent une anarchie prolongée. Alors intervient le gouvernement de Washington. Qui trouble l’ordre et qui se permet de résister aux lois ? Chacun des deux partis s’empresse de répondre que c’est son ennemi ; le gouvernement fait marcher les troupes fédérales, donne pour un moment la suprématie à l’élément militaire, et rétablit l’ordre. C’est là en effet le premier devoir de tout gouvernement ; seulement l’ordre une fois rétabli, il se trouve que c’est presque toujours au détriment de la population blanche.

Voilà, en abrégé, l’histoire de cette anarchie de la Louisiane qui a duré dix-sept longs mois, pendant lesquels la Nouvelle-Orléans gémit sous le joug d’assemblées qui n’avaient pas pouvoir pour faire des lois, de gouverneurs qui ne pouvaient pas gouverner, et de tribunaux qui cassaient et annulaient réciproquement leurs arrêts. » M. Dixon a raconté cette histoire dans les plus grands détails et de la manière la plus amusante, mais nous serions fort en peine, à moins de le traduire, de donner de ce long récit une analyse quelque peu claire et intelligible. C’est une gigantesque forêt vierge de fraudes, armée de tous les dards de la perfidie et enchevêtrée de toutes les lianes du mensonge. Au fond, il s’agit de savoir si le carpet-bagger Kellogg sera gouverneur de la Louisiane, en dépit de la volonté légale des électeurs, si le portefaix noir Marc-Antoine sera reconnu pour lieutenant-gouverneur, et si le nègre Pinchback peut être envoyé comme sénateur à Washington par un gouverneur louisianais dont l’élection et partant les pouvoirs sont contestés. A un moment donné, il y a dans la Louisiane trois gouverneurs, trois lieutenans-gouverneurs, deux sénats et deux assemblées législatives. Kellogg, dont l’élection est douteuse, ne se donne pas le temps d’attendre un nouveau scrutin, agit bravement comme s’il était dûment élu, et multiplie les machinations pour empêcher que son concurrent n’emporte l’avantage. La fraude cependant est arrêtée ; le sénat de Washington a examiné les pouvoirs de Pinchback et a reconnu que l’élection est illégale ; le président Grant lui-même, malgré son bon vouloir pour la ligue noire, est obligé de déclarer qu’il faut procéder à de nouvelles élections. La ligue blanche s’organise, on marche au scrutin, les blancs l’emportent avec une faible majorité de cinq voix. Kellogg met alors tous ses efforts à réduire cette majorité par tous les moyens de violence et de fraude, afin que la chambre, ne se trouvant plus en nombre suffisant pour délibérer, ne puisse pas s’assembler, et sous prétexte qu’il est menacé par les