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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/894

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L’économiste et l’œuvre que je me propose d’apprécier relèvent de la seconde de ces méthodes. Nous n’avons pas à faire connaître à nos lecteurs M. Louis Reybaud. La Revue a publié bon nombre de ses travaux, dont la plupart ont pour objet l’état intellectuel, moral et matériel des populations industrieuses. C’est à l’aspect intellectuel et surtout moral que je m’attacherai particulièrement, comme au trait le plus caractéristique de la vaste enquête qui doit former le sujet de cette étude. C’en est aussi la partie la plus neuve. Non qu’une certaine importance ait jamais cessé d’appartenir à la situation intellectuelle et morale des classes ouvrières ; mais elle s’est accrue dans une proportion qui change tout. Leur nombre, l’idée qu’elles se font de leur rôle et de leurs destinées tant dans l’industrie que dans la société, l’influence que leur état moral et politique exerce sur la communauté, tout cela forme réellement un fait nouveau et capital dont la gravité semble s’augmenter encore par la manière dont il se manifeste aujourd’hui.

On s’est attaché souvent à mettre en relief cette situation. Les classes ouvrières ont eu leurs censeurs et leurs apologistes. Leurs misères, leurs vices et leurs vertus ont trouvé des peintres très nombreux. Il importait que l’esprit scientifique intervînt pour tout ramener à la vraie mesure. Il l’a fait plus d’une fois dans d’excellentes études partielles. Une vue plus générale des populations engagées dans l’industrie, et qui en embrassât les principaux groupes, restait à présenter encore. Malgré les difficultés d’une tâche qui, pour être bien remplie, exigeait une réunion de qualités rares, elle devait tenter les hommes compétens. Ainsi comprise, l’étude de ces populations n’était plus seulement un curieux et savant travail économique, elle devenait une œuvre sociale.

Telle est en effet la portée de l’ouvrage qui nous présente ce tableau d’ensemble. On y rencontre à la fois les traits généraux qui distinguent la classe ouvrière dans les grandes manufactures au XIXe siècle, et des détails circonstanciés sur chacun de ses groupes pris à part. Avant de l’apprécier, voyons comment il a été appelé à se produire, à quelle entreprise déjà commencée il fait suite, et à quels travaux il se rattache chez son auteur même.


I

C’est en obéissant au sentiment de l’intérêt élevé qu’éveille aujourd’hui ce genre de recherches que l’Académie des sciences morales et politiques confiait à M. Louis Reybaud, il y a environ vingt ans, la mission dont nous avons le résultat sous les yeux. Rappelons d’abord les titres qui motivaient un pareil choix. Né à Marseille dans une famille vouée au négoce, M. Louis Reybaud