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avoir raison des résistances passives de la Turquie, pour conquérir la situation meilleure qu’on a le droit de revendiquer en faveur des populations orientales ; mais le meilleur moyen d’avoir cette unanimité, c’est apparemment de ne pas commencer par des actions séparées, de maintenir ou de rétablir l’entente habituelle des puissances liées par des traites, et c’est là que tout semble tendre aujourd’hui.

La France pour sa part n’a rien de mieux à désirer. Son rôle est tout tracé, et M. le ministre des affaires étrangères n’est point sûrement disposé à s’en écarter. La France est dans une situation particulière où elle peut rester en vérité la plus impartiale des puissances. Par l’adhésion qu’elle a donnée en principe aux propositions dont le cabinet de Saint-Pétersbourg a pris l’initiative, elle a prouvé à la Russie son désir de la seconder dans ses intentions bienfaisantes et protectrices pour les populations de l’Orient ; par ses traditions et ses intérêts, elle se rattache à l’Angleterre, et tout ce qui peut sauvegarder la paix de l’Europe est certainement ce qui répond le mieux à ses besoins et à ses vœux. Au point où en sont les choses, quels que soient les incidens de ces dernières semaines et quelles que soient encore les difficultés, ce n’est point évidemment une vaine illusion de croire au maintien d’une paix en faveur de laquelle conspirent tous les intérêts généraux du monde, tous les efforts et les désirs des principales puissances de l’Europe.

Que M. le ministre des affaires étrangères poursuive son œuvre en y mettant la mesure et l’habile modération qu’il sait y mettre, en faisant entendre, sans impatience comme sans affectation, la parole désintéressée de la France ; qu’il continue ce travail, si la commission du budget a l’obligeance de le lui permettre, bien assez d’autres questions intérieures peuvent diviser les opinions, passionner les esprits et occuper nos chambres. Même dans cette partie de nos affaires d’ailleurs, ce serait une étrange méprise de ne pas se souvenir toujours qu’une bonne direction intérieure peut contribuer à l’efficacité de notre politique extérieure, et de croire qu’on peut impunément tout remuer, tout changer, créer une agitation perpétuelle sous prétexte de tout réformer. Il y a quelques jours à peine, un député radical, impatient de produire une certaine éloquence de club, prenait gravement à partie le ministère et la chambre, parce que depuis trois mois on n’avait rien fait de ce qu’il fallait faire. — Eh quoi ! depuis que les chambres nouvelles sont à Versailles, on n’a encore aboli ou réformé ni la loi sur le jury, ni les lois sur les réunions et les associations, ni la législation sur la presse, ni le système financier, ni l’organisation judiciaire ! Si cela continue, la république n’aura plus qu’à abdiquer aux pieds de l’empire, le grand représentant de la démocratie césarienne ! L’aveu est au moins singulier et a été durement relevé par le vigoureux bon sens de M. le garde des sceaux. La vérité est que, si le système des radicaux était suivi, la république pourrait bien alors nous conduire rapidement vers l’empire. La plus sérieuse chance de succès