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la pénible charge de garder le vaisseau souffrirent affreusement de la dureté du climat ; leur unique ressource était de se calfeutrer durant des jours entiers dans les cabines. S’aventuraient-ils à paraître sur le pont, ils ne couraient pas seulement le risque d’avoir les membres gelés, il pouvait leur arriver de tomber immédiatement suffoqués par le froid. Et cependant d’autres régions connaissent les rigueurs de climats infiniment plus âpres. Willoughby et ses compagnons avaient peut-être été entraînés jusque sous ces latitudes « où l’eau ne s’échappe du bois humide placé sur le foyer que pour se congeler à l’instant, où l’on peut voir sur le même tison, — phénomène incroyable, — la braise et la glace vivre de compagnie, le froid et le chaud s’accommoder ensemble. » Soumis à de telles épreuves, comment les équipages de la Speranza et de la Confidentia n’y auraient-ils pas succombé ? Ils n’avaient pas appris à se creuser ces demeures souterraines où vont s’enfouir, pendant les longs hivers, les habitans des rivages arctiques ; ils ignoraient l’art plus difficile et plus compliqué encore de construire des poêles, de ménager, vers le sommet du toit, une issue à la fumée, de boucher soigneusement au contraire toute autre ouverture. Sans ces précautions cependant, résultat d’une longue et pénible expérience, combien de marins du Bonaventure survivraient pour attendre aux bords de la Dwina le retour de leur capitaine ? Tous ces marins allaient, il est vrai, sortir de leurs huttes sains et saufs ; mais les moyens mêmes auxquels ils devaient leur salut n’étaient-ils pas l’indice du sort des malheureux auxquels de semblables instrumens de préservation avaient probablement fait défaut ? On se fût en vain efforcé d’écarter le funèbre présage ; il eût fallu, après les souffrances subies, après les récits alarmans des Russes, vouloir fermer obstinément les yeux à la lumière. La chose était à peu près certaine : si l’océan n’avait pas englouti dans ses profondeurs la Speranza et la Confidentia, on parviendrait peut-être à les retrouver un jour ; on pourrait rendre à la compagnie un bon ship et un yacht, aux veuves et aux mères, on ne rapporterait jamais que soixante-dix cadavres.

Chancelor avait hâte de regagner l’Angleterre ; il tenait à y porter le plus tôt possible « aux intéressés » la nouvelle importante de sa grande découverte, au roi Edouard VI la lettre d’Ivan IV. Un nouveau printemps venait de succéder à l’hiver ; Chancelor refit en traîneau, par Peroslav, Rostov et Jaroslav, le tiers environ de la route qui l’avait conduit des bords de la Mer-Blanche à Moscou. Arrivé à Vologda, il s’abandonna au fil de la Dwina et de ses affluens, et bien qu’il dût changer plusieurs fois de barque, — à Totma d’abord, puis à Veliko Ousting et à Colmogro, — il n’en