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les prépotens ! Pires que les Croates ! pires que les sbires ! Nous en verrons de belles. Race de chiens, tu le paieras ! Quelle honte ! Frapper un enfant désarmé ! — Et les gamins, grisés par la rage des grands et par la certitude de l’impunité, allaient fourrer leur tête entre les capotes des militaires en piaulant de leurs plus aigres voix : — Vilains troupiers ! Prépotens ! Sbires ! Mangeurs de pain par trahison ! Crève, crève ! — Et la foule : — Quelle honte ! frapper un enfant désarmé !

Enfin l’on arriva au corps de garde. Les nouveaux venus pendirent au croc les gourdes, posèrent sur les tables les havre-sacs. Les émeutiers étaient arrivés à une cinquantaine de pas du poste et provoquaient de loin les soldats, qui faisaient semblant de ne point prendre garde à eux. Les meneurs, de guerre lasse, allaient battre en retraite quand on reconnut dans le soldat en faction celui qui avait frappé un marmot dans la rue. Alors la bande se rapprocha, se mit en ligne à trente pas du factionnaire et le regarda méchamment avec des yeux louches : il ne bougea pas.

Un garçon fort mal vêtu se détacha du rassemblement, le chapeau sur l’oreille, un bout de cigare à la bouche, les mains dans les poches et fredonnant un air narquois ; il alla se planter à quinze pas devant le factionnaire, et croisa les bras, secoua la tête, comme. pour lui dire : — A nous deux, si tu n’as pas peur ! — Le soldat tressaillit, la bouche serrée, et soupira longuement. Il vit tomber à ses pieds un bout de cigare. C’était une nouvelle provocation de l’émeutier en herbe, qui, après ce bel exploit, avait reculé de dix pas, craignant que l’ennemi ne lui sautât à la gorge. La sentinelle trembla, pâlit, leva les yeux au ciel, serra les poings et grinça des dents. Un trognon de chou, lancé avec force, rasa la terre et en ricochant lui rejaillit aux jambes. — Dieu ! cria-t-il avec désespoir en se couvrant d’une main la figure et en attachant ses yeux sur l’autre main qu’il tenait appuyée sur la bouche de son fusil, je perds la tête, je n’en puis plus, je vais me brûler la cervelle ! — Sur quoi, avec un cri déchirant, il laissa tomber son arme et porta ses deux mains à sa figure ; puis on le vit chanceler et il tomba au pied de sa guérite : une pierre venait de le frapper au front. Ses camarades accoururent, et il fut porté au poste, où entra bientôt après, chassé par d’autres soldats, un homme livide, les cheveux dans les yeux, l’habit et la chemise en lambeaux. On venait de l’arrêter et il avait résisté avec rage. A l’entrée de cet homme, le soldat blessé se jeta sur lui et l’accula contre le mur : il fallut l’arracher de ses mains. L’officier ayant appris ce qui s’était passé, dit à l’émeutier qui tremblait de tous ses membres : — Que ferais-tu, toi, si l’on t’avait lancé une pierre à la tête ? Mais sois sans crainte : on ne veut te