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enchères de la force et des ambitions rivales sans d’effroyables déchiremens, et au lieu de se mettre à l’œuvre d’un commun accord, on ne s’entend que pour laisser Serbes et Turcs courir sur la Drina, pour laisser donner le signal d’une lutte qui peut compromettre tout ce qu’on veut défendre ! Voilà où en est l’Europe à ce moment décisif où la guerre est peut-être déjà déclarée !

Plus cette situation extérieure prend un caractère de gravité, plus il semblerait que nos chambres, nos partis, nos politiques dussent mettre de mesure dans leur conduite, dans leurs luttes de tous les jours, et cependant la France n’en est point encore là dans sa laborieuse vie intérieure. La France est un peu comme l’Europe, elle aurait besoin de paix, de sécurité, et on trouve le moyen de l’occuper, de la fatiguer, non point heureusement de crises violentes, mais de petits conflits, de petites agitations, d’intrigues de partis, de toute sorte de questions oiseuses ou irritantes. Quand on en a fini avec l’amnistie, on en vient à des propositions tendant à remettre en doute, à bouleverser une organisation militaire qui est à peine depuis trois ans à l’épreuve. Quand il ne s’agit pas des préfets et des maires à révoquer, on invalide, — oui, on invalide encore des députés, et même on poursuit avec apparat, avec solennité, l’écharpe en sautoir, des enquêtes parlementaires sur ce qu’ont dit quelques recteurs de Bretagne ou sur ce qu’ont fait les habitans de Cavaillon ! Quand ce n’est pas la gauche qui commet fautes ou maladresses, c’est la droite qui entre en scène, qui déploie sa plus savante tactique et livre bataille pour élever M. Buffet au rang des sénateurs inamovibles. Pendant toute une semaine, il y a la question Buffet ! Elle est donc accomplie, cette élection dont on a fait tant de bruit et qui est déjà oubliée. L’ancien vice-président du conseil a été introduit dans le sénat par une modeste majorité, qui l’a relevé tout juste de ses défaites assez nombreuses dans les dernières élections. Assurément M. Buffet est un de ces hommes qui ont leur place naturelle dans les assemblées délibérantes, et que les partis, dont ils sont les adversaires, n’ont même aucun intérêt à éloigner systématiquement. Par son caractère comme par son talent, l’ancien ministre de l’intérieur est de l’élite parlementaire, et un jour ou l’autre il devait être rappelé à la vie publique. Dans d’autres circonstances, à un autre moment, son élection eût été toute simple, elle n’aurait dû soulever ni contradictions passionnées, ni difficultés sérieuses. Dans les conditions où elle s’est faite, il est certain que cette élection n’a eu rien de particulièrement satisfaisant. Elle a été une médiocre victoire pour le nouveau sénateur en même temps qu’elle a paru prendre un peu trop le caractère d’une manifestation politique peu opportune.

Était-ce donc si pressé de faire de M. Buffet un sénateur ? Mieux aurait valu certes pour lui personnellement attendre des circonstances