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l’Italie que surveillait Palmerston, son œil sortait rarement de l’Espagne : les affaires de Madrid l’amusaient comme un roman, et sa raideur britannique savait passer à travers les mailles des intrigues les plus serrées.

Jamais le gouvernement anglais n’eut à se plaindre sérieusement de la conduite de la France vis-à-vis de l’Espagne, mais il plaisait à Palmerston de nourrir des griefs contre nous, de nous représenter comme des alliés peu sûrs, des modèles de fourberie, des abîmes d’ambition. Il voit rouge quand il est question du roi des Français. Voici sur quel ton il écrit à son frère : « Ces insurrections militaires en Espagne et en Portugal sont le diable ; mais elles n’auraient pas éclaté si notre digne ami et fidèle allié Louis-Philippe avait rempli ses engagemens et avait agi dans l’esprit du quadruple traité[1]. Mais, quelle qu’en soit la cause, il nous a à peu près jetés par-dessus bord, nous, la reine et le traité. Les uns disent que c’est par pour des républicains, les autres par désir de plaire à l’Autriche et à la Russie,… d’autres qu’il veut le succès de don Carlos et donne une princesse française à un fils de don Carlos… » (10 septembre 1836.) Peu de jours après, il revient à la charge et écrit à son frère : « Louis-Philippe nous a traités salement (scurvily) dans ces affaires espagnoles ; mais le fait est qu’il est aussi ambitieux que Louis XIV et veut mettre un de ses fils sur le trône d’Espagne, comme mari de la jeune reine, et il croit qu’il, atteindra mieux ce but par la continuation du désordre en Espagne que par la fin de la guerre civile et l’établissement de l’indépendance nationale. » Une au ire fois, il accuse Louis-Philippe de convoiter les provinces du nord de l’Espagne ; il croit que la guerre civile et la misère les jetteront dans les bras de la France : « c’est le rêve de Talleyrand. » (Lettre du 1er décembre 1836.) Ainsi cette imagination inquiète s’ingénie à découvrir en nous toute sorte de noirceurs.

Connaissait-il mieux l’Espagne ? En parlant de la jeune reine, il écrit : « Il lui faut de l’argent, de bons généraux, d’honnêtes serviteurs ; comment elle trouvera l’une quelconque de ces trois choses, Dieu le sait ! » Il a peu d’illusions sur les hommes d’état de la Péninsule, sur Torreno, « dont les poches sont profondes » (Lettre du 12 avril 1838 à William Temple), sur « mon absurde ami » Miraflores, etc. Le temps, mieux que la sagesse des hommes d’état, consolidait pourtant le trône d’Isabelle.

Le représentant de l’Angleterre était toujours lié aux progressistes, celui de la France aux modérés ; mais M. Guizot et lord Aberdeen avaient fini par s’entendre et par décider qu’il ne devait plus

  1. Ce traité fut signé le 22 avril 1834 entre l’Angleterre, la France, l’Espagne et le Portugal pour garantir les trônes constitutionnels d’Espagne et de Portugal.