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plus loin et de dire : « Si les animaux vivaient séparément, sans aucune sorte de commerce, et par conséquent sans pouvoir se copier, il y aurait dans leurs opérations la même uniformité que nous remarquons dans le principe qui les meut et dans le moyen qu’ils emploient. » Ce fait est confirmé par la science la plus récente. Des animaux qui n’ont jamais connu leurs parens, et qui n’ont pu prendre modèle sur eux, accomplissent sans erreur leurs devoirs de père et de mère ; mais même en admettant, ce qui est incontestable pour certaines espèces, que les générations soient des institutrices les unes pour les autres, et qu’ainsi il y ait entre elles une sorte d’imitation, que conclure de là ? Que les parens sont les maîtres, que les descendans sont les élèves, et que tout s’explique ainsi ? mais la difficulté n’est que déplacée et reste entière, car c’est de trouver le premier maître qu’il s’agit, et où est-il ? Il faut s’arrêter dans la recherche des causes, disait le fondateur de la zoologie. Condillac, lui, s’arrête en définitive au besoin, qu’il regarde comme le principe de l’activité animale. Cette explication, qu’il n’a pas assez approfondie, quoiqu’il en ait déduit quelques légitimes conséquences, a-t-elle vieilli ? N’y a-t-il pas lieu d’y substituer soit la doctrine de l’habitude héréditaire, soit la théorie savante, brillante et, dit-on, presque triomphante de l’hérédité en général ?


II.


Il est maintenant démontré, croyons-nous, que l’instinct ne peut pas être une habitude individuelle. Peut-être est-il une habitude héréditaire. Au premier aspect, si la raison n’admet pas cette proposition comme vraie, elle ne la repousse pas non plus comme étant d’une évidente fausseté. Partout où pénètre l’hérédité, elle apporte avec elle une obscurité mystérieuse. À travers ces ténèbres, le psychologue dont le siége n’est pas fait d’avance, et qui ne s’est pas dégagé d’un système pour s’asservir à un autre, doit avancer avec précaution. Le point important est ici de démêler au juste ce que l’hérédité ajoute à l’habitude en puissance et en fécondité, ou, en d’autres termes, de décider si une habitude, par cela seul qu’elle est héréditaire, revêt les caractères de l’instinct.

Les premiers observateurs des animaux au dernier siècle, je veux dire Buffon et Condillac, n’ont pas fait entrer l’hérédité en ligne de compte. Et même, pour parler exactement, ils s’en sont passés. Buffon ne prononce pas ce mot. À l’en croire, le savoir des animaux est affaire d’éducation : les jeunes se modèlent sur les vieux ; ils apprennent en très peu de temps tout ce que savent leur père et leur mère, sans autre cause déterminante que l’éducation. Où