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rait le spectacle offert par les races animales, si ce principe biologique s’appliquait avec rigueur ? Par une conséquence forcée, il n’y aurait plus aucune différence individuelle. Les animaux seraient non moins pareils entre eux que les exemplaires d’une statue tirés d’un même moule ; on ne verrait ni diversités physiques, ni particularités psychologiques, nul polymorphisme, partout la plus stricte uniformité, rien que des sujets indiscernables qu’on ne pourrait distinguer que par des signes extérieurs, comme ces jumeaux au cou desquels les mères, pour ne pas les confondre, attachent des rubans de couleur différente. Or quiconque a, je ne dis pas observé en savant, mais jeté autour de lui un coup d’œil simplement attentif, sait de reste qu’il n’en est pas ainsi. Dans les espèces animales comme dans les lignées humaines, la règle est sans cesse entamée par l’exception, et l’uniformité incontestable du type laisse mille entrées aux accidens, aux bizarreries, aux écarts, nous dirions presque aux incartades plus ou moins hardies d’une nature à la fois disciplinée et libre. Et ce qu’il faut noter sans retard, c’est que le plus illustre théoricien de l’hérédité, M. Ch. Darwin, reconnaît l’existence de ces accidens et de ces effets bizarres, qui sont autant de restrictions apportées par la force des choses au principe de la transmission. Disons plus, toute sa doctrine est fondée sur ces exceptions accidentelles. D’une habileté supérieure à faire jouer les ressorts les plus opposés, il se sert de l’hérédité variable pour susciter des races nouvelles, et de l’hérédité constante pour maintenir la variation acquise et en assurer la lente accumulation.

L’atavisme lui-même, si souvent attesté dans ces derniers temps, prouve que la loi d’hérédité n’a pas l’inflexibilité que certains systèmes lui attribuent. Avons-nous besoin de rappeler ce que c’est que l’atavisme ? Une infirmité de naissance, la surdité par exemple, ou bien une difformité comme celle qui consiste à avoir six doigts à chaque membre, provenant de quelque aïeul, épargne deux ou trois générations et se jette sur les suivantes : telle est la forme de transmission fatale qu’exprime ce mot. Il saute aux yeux que l’atavisme viole la loi d’hérédité directe. Celle-ci, encore une fois, n’est donc pas absolue.

Que l’on fasse néanmoins à cette loi la part aussi large que possible ; qu’il soit admis que toutes les habitudes du père et de la mère passent par voie d’héritage à l’enfant ; s’ensuivra-t-il que toutes les habitudes ainsi léguées soient des instincts et en méritent le nom ? Et inversement en résultera-t-il que tous les actes nommés instinctifs ne soient que des habitudes héréditaires ? Consultons les faits. Les chiens aboient de père en fils : c’est là assurément une habitude héritée. Est-ce un instinct ? Il paraît que non : en effet, des savans voyageant dans l’Amérique du Sud y ont ren-