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tient une explication souvent heureuse de la variation et même de la transformation de certains instincts, on serait injuste ; on ne l’est pas en soutenant qu’elle ne montre ni qu’ils puissent être acquis, ni comment ils le sont. En effet, sans s’en apercevoir, l’illustre naturaliste admet, — s’il ne le prouve pas, — que l’instinct est primitif et non acquis, et en second lieu qu’il est, au commencement, tout à fait accidentel et individuel. Ces deux points, qui sont d’importance majeure, ressortent de l’exemple du pigeon culbutant et du commentaire qu’en fournit M. Ch. Darwin lui-même. « Personne n’aurait songé, dit-il, et probablement ne serait jamais parvenu à apprendre au pigeon à faire la culbute, acte que peuvent exécuter, j’en ai été témoin, de jeunes oiseaux qui n’ont jamais vu un pigeon culbutant. Nous pouvons croire que, quelque individu ayant une fois montré une tendance à cette habitude étrange, celle-ci aura été développée au point où elle en est actuellement par une sélection continue des meilleurs individus dans chaque génération. » On aura certainement remarqué, comme nous, cette tendance d’un individu se manifestant une fois, lisez : une première fois. Assurément voilà l’instinct absolument primitif. Charles Darwin le signale encore chez le chien d’arrêt : « On peut douter qu’on eût jamais pensé à dresser des chiens à l’arrêt, si un de ces animaux n’avait pas montré naturellement une tendance vers cet acte[1]. Ces lignes, plus explicites que les précédentes, signalent non-seulement une tendance toute primitive, mais l’attribuent à la seule nature de l’animal chez lequel elle a paru. Enfin, — et c’est ici le second point à noter, la seconde conséquence, inaperçue par l’auteur, de son interprétation de ces faits, — en même temps que l’instinct culbutant du pigeon est primitif, il apparaît, il se produit envers et contre la loi d’hérédité. Que voulait-elle, cette loi, qu’ordonnait-elle ? Que ce pigeon fût l’exacte image de ses parens, lesquels n’avaient jamais culbuté. Or, loin de se montrer fidèle héritier du vol correct de ses ancêtres, le voilà qui naît avec une tendance à faire le saut périlleux, et à la première occasion il obéit à ce penchant aussi bizarre que personnel. Que devient dans ce cas la puissance de la transmission héréditaire ? Elle reparaîtra tout à l’heure pour fixer cette singularité fortuite, et faire souche de cabrioleurs, et elle y réussira à tel point que, d’après M. Breat, les culbutans de maisons des environs de Glascow ne savent plus s’élever de dix-huit pouces au-dessus du sol sans tourner sur eux-mêmes. Mais au début la loi est éludée, je ne dis pas assez : elle est transgressée, car aucun des ascendans du premier pigeon ne

  1. Ch. Darwin, l’Origine des espèces, traduction française par M. J.-J. Moulinié, Paris 1873, p. 234.