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l’instinct, la science s’efforce de ne pas regarder trop haut. La puissance instinctive, dans sa plus large expression, offre des caractères saillans qu’il importe de marquer, et dont la méconnaissance a produit des confusions fâcheuses. Or consultez les maîtres en zoologie, ils disent d’un commun accord que les animaux supérieurs, ceux qui diffèrent le moins de l’homme, ne fournissent pas l’image la plus pure de l’instinct, parce que chez eux une part variable d’intelligence, d’expérience, d’éducation quelquefois, altère les traits de leur nature propre. Dans la vie de l’insecte au contraire, d’après M. Milne-Edwards entre autres, c’est de l’instinct que dépendent presque toutes les actions, même celles qui semblent demander le plus de calculs et de prévisions. Là donc sera le type cherché. C’est bien l’instinct, rien que l’instinct, sans mélange d’éducation, ni de réflexion, ni d’expérience, qui pousse telle araignée, par exemple la mygale, à se construire d’emblée une habitation ouatée et fermée par une porte à charnière. C’est lui, rien que lui, qui dirige l’art infaillible d’une autre araignée, l’épéire diadème, filant d’abord des toiles larges et verticales, puis tissant son cocon dans une feuille enroulée. C’est lui seul qui inspire les fourmis et les abeilles. Sous cette forme aussi accomplie, aussi épurée que possible, ses caractères sont remarquables et constans, et sans ces caractères, il n’est pas. Notons d’abord la précision, cette sûreté étonnante qui imprime à ses œuvres la netteté d’un premier jet exempt d’erreur et correct sans retouches. D’une main d’homme aussi certaine, vous diriez qu’elle agit comme par instinct, tant celui-ci est le type de la force qui ne saurait manquer son coup. Le second caractère est l’invariabilité, dont on a quelquefois exagéré le déterminisme uniforme, mais qui, moins raide que dans le cristal, plus souple encore que dans la plante, maintient pourtant une fixité relative dans les produits de l’industrie animale. La forme géométrique des cellules dessinées par les abeilles ne serait jamais attribuée à un instinct, si chacune des ouvrières de la ruche modelait un polygone différent. Enfin nous exigeons qu’un instinct, pour mériter son nom, appartienne à l’espèce tout entière et non pas seulement à l’individu. M. Ch. Darwin lui-même, malgré le rôle qu’accorde sa théorie aux variations individuelles, a suivi le courant de l’opinion générale : il n’a guère donné le nom d’instinct qu’aux facultés devenues communes à l’espèce par le travail du temps et de la sélection.

Peu à peu donc, grâce aux délicates analyses des psychologues exercés, la figure de l’instinct, si l’on me passe ce mot, se détache plus visible, plus lumineuse, de l’obscurité où la retient la nature des choses. Dans cette clarté nouvelle, mieux que dans les descrip-