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construit sur l’Amou-Daria, en amont de la ville de Khiva, permet aux Russes de surveiller les nomades d’alentour, et sera sans doute le noyau d’une colonie moscovite. Enfin l’année dernière ils ont achevé la conquête du Khokand, en profitant d’une insurrection qui avait détrôné Khoudoïar-Khan. Après la prise de la forteresse de Mahram, qui était défendue par une armée de 30,000 Kiptchaks et Kirghiz, le général von Kauffmann, gouverneur-général du Turkestan, a fait une proclamation dans laquelle il apprend aux vaincus « qu’une guerre contre le tsar blanc, dispensateur de la paix et de la prospérité de tous les peuples soumis à son pouvoir, est une iniquité, et que Dieu sera toujours contre ceux qui prennent les armes contre les Russes. » Il ajoute que l’ancien khan a été envoyé à Pétersbourg ; « il ne redeviendra pas votre souverain, car il m’est connu que Khoudoïar-Khan n’avait pas l’affection du peuple khokand. » Le 2 mars dernier, un ukase impérial a décrété l’annexion définitive de l’ancien khanat sous le nom de « district de Fergana. » Sur les frontières de la Chine, le soulèvement des musulmans a fourni aux Russes, il y a cinq ans, l’occasion de s’emparer de la ville de Kouldja, située dans la fertile vallée de l’Ili, sur le versant nord des monts Thian-chan. En même temps, ils ont conclu un traité de commerce avec Mohammed-Yacoub, le souverain du nouvel état qui est sorti de cette révolte et que l’on désigne sous le nom de la Kachgarie[1]. Dans le désert de Gobi, ils ont maintenant un comptoir à Ourga ; au nord de la Chine, ils possèdent, grâce à l’habileté diplomatique du général Ignatief, un immense territoire sur la rive droite de l’Amour. Enfin tout récemment ils ont obtenu du Japon la cession de la moitié méridionale de l’île Sakhalin, qui renferme des gisemens de charbon, en échange des Kouriles.

Un empire qui devient aussi vaste est difficile à gouverner ; le télégraphe n’y suffit pas. Les négocians qui se rendent aux marchés asiatiques restent des mois en route, et les troupes n’arrivent pas aussi vite qu’il le faudrait sur les points menacés. Il est temps de rapprocher les frontières de la capitale en créant des moyens de communication plus rapides.

Le vrai centre du réseau des chemins de fer russes, ce n’est pas Saint-Pétersbourg, c’est Moscou. Le chemin de fer qui descend de Moscou vers le sud s’arrête au pied du Caucase, à Vladikavkas ; de ce point, une large et belle route militaire franchit les montagnes et conduit à Tiflis, la capitale de la Géorgie. Si on se décidait à continuer de ce côté la voie ferrée, il faudrait percer un tunnel qui aurait à peu près la longueur de celui du Mont-Cenis ; mais

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mai et du 1er septembre 1874, les études de M. Blerzy sur les Révolutions de l’Asie centrale.