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telle manière de guerroyer, Du Guesclin y portait toute la supériorité de ses qualités personnelles. Voilà comment il s’acquit une si grande réputation. On rapporte de lui mille traits qui prouvent que, si l’on ne pouvait pas lui reprocher le même manque de foi, la même inhumanité qu’aux capitaines anglais, il avait un fonds aussi inépuisable d’audace et de ruse. Toutefois chez lui, comme chez bien des chefs de ces compagnies auxquelles il faisait une guerre acharnée, subsistait un reste de sentiment et de mœurs chevaleresques. C’est ce mélange des habitudes du routier et des traditions de la noblesse française qui donne à la figure de Du Guesclin un cachet si original, qui fait que son histoire a quelque chose de véritablement épique. La vie du capitaine breton passa à la légende, et celle-ci prend surtout naissance au siège de Rennes. Auparavant Bertrand n’était qu’un soldat infatigable, un batailleur incomparable ; à dater de cet événement (1356), il devient un héros, et tous les yeux se tournent sur lui.

Les événemens auxquels s’était mêlé le nom de Du Guesclin laissèrent une impression analogue à celle qu’avaient produite les paladins de Charlemagne. Ils offrent cela de remarquable qu’ils sont contemporains d’autres qui par leur caractère se rapprochent de nos mœurs et de nos idées. Tandis qu’aux états-généraux convoqués sous le roi Jean, dans les troubles qui ensanglantent Paris, on a comme les avant-coureurs de la révolution française, les exploits du futur connétable nous transportent pour ainsi dire à l’âge homérique. En lisant le poème de Cuvelier, qui les a célébrés, on se trouve en présence d’hommes, de héros, qui pourraient sans grand anachronisme être pris pour des personnages de l’Iliade. Le siège de Rennes, tel que le raconte le trouvère picard, nous fait penser au siège de Troie, bien qu’il ait duré seulement neuf mois et non dix ans, et que l’issue en ait été tout autre. Rien ne rappelle davantage l’âge héroïque que le défi lancé par Bertrand à Guillaume de Bramborc, alors que l’intrépide défenseur de Rennes avait été mandé avec un sauf-conduit au camp du duc de Lancastre. Mais on reconnaît dans cet épisode l’influence que l’esprit chevaleresque continuait à exercer, même au milieu de cette guerre de brigandage, et l’on admire en cette rencontre, chez les Bretons comme chez les Anglais, une loyauté, un point d’honneur, dont ne se piquaient pas les Grecs du temps d’Homère. Du Guesclin accepte fièrement la provocation de Bramborc ; il repousse avec une inflexible résolution les représentations des habitans de Rennes, qui craignent pour sa vie, surtout pour eux-mêmes, que sa mort priverait d’un défenseur sans égal. Charmé de son audace, et bien qu’il soit son ennemi, le duc de Lancastre fait présent d’un cheval au capitaine