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Doudan et cet intérieur qui lui fut ouvert, l’accord des sentimens et des idées était si complet, qu’au bout de très peu de temps il y vécut sur le pied de l’ami le plus intime. Après les événemens de juillet 1830, le duc de Broglie, appelé au ministère de l’instruction publique, insista pour faire de M. Doudan le chef de son cabinet. Il ne tint pas moins à le garder auprès de lui, dans la même situation, quand il devint plus tard ministre des affaires étrangères et président du cabinet du 2 octobre. Pendant ces cinq années, M. Doudan n’a pas un instant cessé d’être en relations suivies avec tout ce que la France et l’Europe comptaient de personnages les plus considérables. La tradition de la famille constate les grands services que M. Doudan a rendus alors à M. le duc de Broglie, par sa mesure, son tact, son esprit toujours prêt, sa loyauté fine et sa discrétion spirituelle. En revanche, on sait que le duc de Broglie avait une confiance sans bornes dans M. Doudan, qu’il l’a constamment initié à tous les actes de sa vie politique et consulté dans toutes les circonstances les plus importantes. Quand il se retira définitivement des affaires en 1836, il proposa à M. Doudan, en récompense de ses services, de le faire entrer au conseil d’État. Les différens ministres qui l’avaient connu lui offrirent des fonctions publiques qu’il ne voulut jamais accepter. « Après la mort de la duchesse de Broglie (septembre 1838), il devint évident que jamais il ne consentirait à se séparer d’un intérieur où un tel vide venait de se produire et dans lequel ses affections étaient désormais concentrées. » S’il était permis d’ajouter un mot en un sujet si délicat et si intime, on pourrait voir dans cette résolution irrévocable un hommage rendu à une pure et noble affection, de l’ordre le plus rare et le plus élevé, une manière de l’honorer par le don de soi et de sa vie entière, quelque chose comme une consécration intérieure à une mémoire discrètement adorée.

On dirait d’ailleurs qu’ayant vu de près, pendant quelques années, les agitations de la politique et touché même à quelques-uns des ressorts qui font mouvoir les choses humaines, il avait pris vite en dégoût la peine qu’on s’y donne et qui est si grande pour de si petits résultats. Dès 1835, à l’âge où l’on a devant soi les horizons largement ouverts, il écrivait ces mots, où se laissent pressentir la fatigue prématurée de la vie active et l’abdication des vastes espérances : « Quand on n’est pas M. Fox ou le général Bonaparte, ce n’est pas la peine d’être sur la scène ou au parterre du monde politique… Vanité des vanités, et tout est vanité dans ce monde, hors ma chambre avec ma fenêtre qui regarde vers l’Italie, par-dessus les Voirons. » Cette disposition ne fit que s’accroître avec l’expérience et l’âge. On pourrait en recueillir les symptômes à chaque page de la correspondance : « Je me sens de plus en plus incapable,