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qu’exercèrent sur ses écrits une vie plus retirée et une société moins troublée que celle de Paris, éclate, — comme une magnifique dissonance, — cette page où, généralisant la question, l’auteur examine, au point de vue de la production des idées, l’influence des grandes villes et l’action destructive qu’elles opèrent à la longue sur l’originalité du talent. C’est la contre-partie de cette pensée qu’exprimait un jour le duc de Weimar écrivant à Schiller : « Ce qui est destiné au grand nombre doit être composé dans la société du grand nombre. » — On dirait que M. Doudan répond à cette pensée pour la restreindre et la limiter : « Il est vrai, dans ces centres de civilisation, les esprits sont plus frappés de plus d’idées à la fois, et s’ils n’ont pas beaucoup d’ardeur naturelle, cette vie qui fermente autour d’eux les provoque à penser. Le concours de tant de sentimens, de vues et d’intérêts divers, continuellement aux prises, donne l’entente de ce qui plaît au plus grand nombre, et développe les qualités nécessaires pour traiter avec les hommes, pour accommoder les pensées à la mesure moyenne des intelligences ; mais en même temps il n’est pas douteux que les grands foyers de civilisation et d’activité politique diminuent l’énergie du sentiment moral ; on y voit passer si vite les opinions qu’on y professait tout à l’heure d’un ton si parfaitement dogmatique, les maximes s’y conforment avec tant de promptitude aux exigences de la conduite, le flux et le reflux des passions de chaque jour se joue si hardiment de toutes les vérités, que l’esprit le plus intrépide et le plus enthousiaste se trouble et se décourage à ce spectacle. Cet être bizarre qu’on nomme le monde, dont les formes varient, mais dont la force est à peu près toujours la même, atteint chacun dans les régions de l’âme qui sont en apparence les plus inaccessibles à l’influence extérieure ; il agit sur sa manière de sentir comme sur sa façon de penser ; il dérobe à chacun une partie de sa propre nature pour l’animer de l’esprit mobile de la foule. Je ne vois pas que les temps les plus anarchiques au premier aspect soient exempts de cet esclavage : l’excentricité devient aussi une mode, et peut-être la plus monotone de toutes, car l’extravagance est ce qu’il y a de moins varié. — Qui peut s’assurer d’avoir l’esprit assez robuste pour résister à ce joug ? L’empire du monde n’inspire le talent que par la préoccupation du succès, il tourne en dehors toutes les facultés, et si le foyer intérieur n’est pas d’une ardeur extrême, il pâlit promptement. Je sais que Racine n’avait pas besoin de l’isolement pour contempler, comme dans une glace limpide, les traits les plus purs de l’antiquité grecque ; je sais que Rousseau, dans le bruit de Paris, et presque dans les salons des encyclopédistes, se recueillait assez pour voir le soleil se lever sur les sublimes entretiens de son Vicaire savoyard- ; mais